Petits bonheurs d'occasion # 2

Lorsque nous sommes hauts comme trois pommes, tout nous semble gigantesque! La moindre infrastructure prend des proportions phénoménales. Il en est ainsi des cavernes d’Ali Baba enfouies dans nos souvenirs, des lieux d’errance de notre enfance…

Dans mon jeune esprit, le dépanneur de monsieur B représentait le château d’Hansen et Gretel! Le Louvre des amateurs de bonbons, la huitième merveille du monde! Le cœur battant, je descendis de la Chrysler familiale, le camion rouge pompier abracadabrant du quartier. Précédant ma tribu, je me dirigeai vers les pyramides du Nouveau-Bordeaux. Par stratégie, je faisais toujours une pause devant la porte d’entrée. J’affichai un air désintéressé... Je devais être sage. Ce n’était pas le moment de faire des galipettes. Un petit bonheur d’occasion se pointait à l’horizon.

La boutique de mon gentil sorcier débordait de journaux, de revues et de livres. Ma première enquête consista à dénicher le dernier exemplaire du journal de Tintin. Satisfaite, je déambulai négligemment vers les autres trésors du drugstore : les rayons des jouets et des articles de collections. Ces objets revêtaient souvent un cachet particulier, voire inaccessible. De temps en temps, ce genre de bonheur d’occasion, surtout des modèles réduits, nous était offert. Ces articles étaient réservés aux jours de fête. Il ne faut pas exagérer.

Cependant, certains de ces trésors méritaient que l’on s’y attarde attentivement. Après tout, on ne sait jamais. Une occasion particulière pouvait toujours faire surface dans mon petit monde. Une bonne note dans mon cahier d’école; un B au lieu d’un D!... Pensive, c’est ainsi que je vis pour la première fois, sur les rayons de mon dépanneur B, la réplique exacte de mon idole de l’heure : une figurine de Tonto, le roi des Indiens! Le fidèle compagnon de Lone Ranger, le meilleur cow-boy de l’univers!!!

Abasourdie, je continuai la visite hebdomadaire. Au bord de la crise de nerfs, je tentai de voir le prix de ce trophée. Rien! Aucune indication n’apparaissait sur l’emballage. Surmontant ma timidité, j’osai une requête auprès de monsieur B en personne. Le coquin me dévoila le prix avec délicatesse. Horreur! La chose s’avéra extrêmement onéreuse. Hors de prix pour une enfant à la recherche d’un petit bonheur d’occasion à un sou. La mine déconfite, je résolus de jeter mon dévolu sur une boisson gazeuse et un sac de croustilles. Un petit bonheur à ma hauteur. Malgré tout, je jonglai à une manœuvre, un plan d’attaque digne de Napoléon. Tonto l’Indien méritait que je lui consacre toutes mes énergies.

La smala ressortit du dépanneur le cœur joyeux. Tout le monde se trouva un petit bonheur d’occasion abordable. La Presse, le Paris-Match et quelques magazines hebdomadaires côtoyaient les friandises du jour sur le siège arrière de notre bolide. Rassasiée, la tribu s’envola vers la maison.

Parfois, un arrêt impromptu chez des amis agrémentait ce conte de fées. Je me souviens particulièrement de madame Paule Daveluy et de monsieur Bricole. Une écrivaine chevronnée et un bricoleur inoubliable! Ce genre de rencontre s’avérait souvent propice à de grandes expériences. Ce soir-là, une conversation privée avec monsieur Bricole donna naissance à un projet farfelu : la création de mon premier budget. J’envisageai tout de go les bâtiments nécessaires à une collecte de fonds pour l’acquisition de Tonto l’Indien, mon petit bonheur d’occasion à acquérir du dépanneur B!

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