M ou la vie dans la montagne 7 : rencontres

 

N.C. Wyeth. Uncas slays a deer. 1919

Telle est le plus souvent la présentation du jeune homme à la forêt, et tel ce qu’il porte en lui de plus originel. Il y va d’abord en chasseur et en pêcheur, jusqu’au jour où, s’il détient les semences d’une vie meilleure, il distingue ses propres fins, comme poète ou naturaliste peut-être, et laisse là le fusil aussi bien que la canne à pêche. Henry David Thoreau. Considérations plus hautes.

Je me souviens de mes premières expéditions de pêche à la ligne. Ces journées de quête enfantine furent parmi les plus palpitantes de mon existence. Levée dès l’aube, je me revois muni d’un seau et d’une petite truelle, cherchant avec passion les vers de terre susceptibles de plaire aux poissons de ma rivière. Ce fut dans la rivière des Mille Îles que mes exploits de pêche les plus tonitruants furent établis. À l’image de Tom Sawyer et Huckleberry Finn, d’Œil de faucon et de la princesse Hiawatta, je taquinai le crapet-soleil, la perchaude, l’achigan, le doré, le brochet et même l’anguille.

À cette époque, je rapportais mes prises à la maison avec fierté. Certains pauvres spécimens se retrouvaient dans la baignoire familiale en attente d’une décision. La plupart retrouvaient le lit de la rivière après une brève consultation auprès de la Mama en chef.

Plus tard, à l’âge adulte, je prisai toujours cette aventure qui nous entraîne au bord de l’eau, sur les berges ou dans une barque, en guise de cache pour la pêche à la ligne. J’aimerais un jour connaître l’art de la pêche à la mouche. Loin de moi l’idée d’égaler Brad Pitt dans sa gestuelle inoubliable… mais, j’aimerais, un jour taquiner la truite ou le saumon, juste pour le plaisir de ce dialogue étrange entre le ciel et la rivière.

La rivière du sixième jour demeure un chef-d’œuvre pour tout amoureux de la nature.

Aujourd’hui, il m’arrive parfois de me rendre à la pêche. Désormais, le dialogue demeure parfaitement poétique. Je refuse de rapporter quoi que ce soit à la maison. Le trophée demeure à l’eau, le véritable trésor dans mon âme.

Inutile de vous préciser que la chasse ne fait pas partie de ma vie. Je chasse uniquement la nature à titre d’observatrice en chef. Je persiste et signe pour toute espèce animale qui évolue sur la planète. Les espèces en voie d’extinction se multiplient à un rythme effarant. De plus en plus de spécimens disparaissent quotidiennement. Inutile de vous avouer que je préfère la voie de la paix plutôt que la piste guerrière.

Ce qui me coupe le souffle, ce n’est pas le résultat final observable de la quête ou de la chasse : un trophée quelconque ou une image Ce qui me fascine et me bouleverse demeure le privilège de croiser la route de ces dieux de la forêt. L’instant privilégié et inoubliable d’une rencontre fortuite dans les bois ou ailleurs…

Le randonneur n’a rien du chasseur. Le marcheur se promène au cœur des sentiers avec ou sans but. La plupart aiment la nature, la méditation et le bien-être que cette activité lui procure. Beaucoup marchent vite et accumule les kilomètres. Ce n’est pas mon cas. J’aime errer le long des sentes à un rythme régulier, non rapide. Aussi, j’aime à observer, sentir et repérer la présence d’un faune discret.

Le premier cerf de Virginie qui daigna croiser ma route ne me salua pas du haut de ses quatre pattes. Je revenais du sommet Rocky. Je marchais librement sans me soucier du temps. Mon œil capta un reflet inusité sur la droite. Je retins mon souffle. Je plissai les yeux pour mieux apprécier l’effet bizarre sur les bosquets. Puis, une tache de blanc se balança crânement à quelques mètres. Je figeai sur place. Je n’en croyais pas mes yeux. J’étais seule dans le sentier. Je croisai les doigts pour qu’aucun randonneur bruyant ne vienne interrompre cet instant de bonheur.

La biche se balada pendant un moment entre l’herbe fraîche et le petit ruisseau de la colline. Je pus l’observer à satiété pendant une quinzaine de minutes. De temps en temps, elle redressait la tête pour regarder dans ma direction. Aux aguets, elle vérifiait mes intentions. Amie ou ennemie ? semblait-elle me murmurer. Satisfaite, elle poursuivit son déjeuner sur l’herbe sans se soucier de ma présence.

Depuis cette première émotion d’un après-midi d’un faune innocent, j’ai croisé les pas d’une dizaine de cerfs dans la montagne. Des faons, des grands mâles arrogants et des biches gourmandes aux airs de déesses. Je respecte leur territoire. Je ne les provoque pas par excès d’amitié. Je les laisse brouter, gambader et se promener tels des randonneurs à quatre pattes du dimanche… comme moi.

À suivre…

Commentaires

  1. Je me reconnais ici :

    //Le randonneur n’a rien du chasseur. Le marcheur se promène au cœur des sentiers avec ou sans but. La plupart aiment la nature, la méditation et le bien-être que cette activité lui procure. Beaucoup marchent vite et accumule les kilomètres. Ce n’est pas mon cas. J’aime errer le long des sentes à un rythme régulier, non rapide. Aussi, j’aime à observer, sentir et repérer la présence d’un faune discret.//

    Randonneur de vie.

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  2. Bonjour Reading,

    Merci de votre commentaires. Je reconnais le coeur sensible du randonneur de vie en vous.

    Sur quel sentier errez-vous de la sorte?

    Amitiés XXX

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  3. Bonjour, M.

    Je suis en Abkhazie, la mer et la montagne réunies.

    Je fait aussi un retour vers nos blogues : Votre carnet et peut-être quelques autres, et le mien sur Palestrique.

    Cordialement, S. alias r_i_d


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  4. Par les crevettes roses de la mer Noire! comme dirait le capitaine. Voilà un fichu de bel endroit pour habiter, errer et méditer. Un parfait équilibre entre le ying et le yang. Mer et montagnes. Un endroit dynamique au niveau politique également. Je reconnais vos passions.

    Je suis ravie de vous revoir sur les sentiers des écrits.

    à bientôt.

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