J’avais des visiteurs plus consolants que les derniers. Enfants venus à la cueillette des baies, hommes du chemin de fer en promenade du dimanche matin sous une chemise propre, pêcheurs et chasseurs, poètes et philosophes ; en un mot, tous honnêtes pèlerins, qui s’en venaient dans les bois en quête de liberté, et laissaient pour de bon le village derrière eux, que j’étais prêt à saluer d’un « Soyez les bienvenus, Anglais ! soyez les bienvenus, Anglais » attendu que j’avais été en relations avec cette race. Henry David Thoreau. Walden ou la vie dans les bois. Les visiteurs.
En lisant cet extrait de Thoreau, je pensai fortement au faucon pèlerin. Les petits diablotins de la falaise s’amusent-ils en secret de nos visites au seuil de leur domaine? Est-ce là le type de réflexions qui circulent dans les balcons rudimentaires et bien gardés du seigneur des hautes tours ? Perchés sur les nobles corniches, les dieux rapaces se demandent-ils avec humour de quelles forteresses obscures les visiteurs du jour proviennent ? La grotte du grand corbeau ? La cache de la carrière ? Le clocher du curé du Vieux-Beloeil ?
J’image la famille Faucon débatant de la route de ces drôles de pèlerins déplumés.
Certains visiteurs ou pèlerins traversent le Piémont pour leur promenade quotidienne sans se soucier le moins du monde de la faune ni de la flore environnante. Ils vont et viennent d’un pas rapide dépensant leur énergie en vaine acrobatie sur la colline. D’autres, plus sportif, effectuent leurs joggings d’enfer, à vitesse de faucon, munis de iPod sans rien voir ni entendre autres sons que leur musique de ville.
J’imagine les fauconneaux raillant les athlètes sans ailes.
Puis, certains, plus romantiques, certes, prennent la pause du philosophe au pied de la citadelle taillée dans le roc par dame nature. Immobile devant le château aux mille créneaux de rocher, ce passager clandestin venu de toutes parts, aime le mystère ambiant qui règne autour de cette pyramide naturelle. Celui-là aime l’oiseau du soleil. Celui-là respecte son domaine. Le pèlerin rêveur écoute la complainte de la bête, il le regarde médité sur son perchoir, l’observe prendre son envol, le regarde dans sa quête de trésor à déguster.
J’imagine le couple de faucons cumulant les mises en scène pour mieux fasciner son auditoire.
En réalité, je ne crois pas que le faucon pèlerin se soucie de nos remarques. Non, je le crois plutôt indifférent à nos hommages quels qu’ils soient. Le faucon est un guerrier, un oiseau de proie, un pèlerin du monde de la chasse. Je le crois insensible à l’enfant qui s’amuse dans l’étang, sarcastique sur l’agilité du coureur à deux pattes et méfiant au sujet du poète qui s’exalte devant sa puissance.
Le faucon pèlerin demeure le maître absolu de son territoire : le ciel. Il protège sa famille avec férocité. Il chasse pour lui et pour la nichée. Bien qu’il soit fidèle à sa belle pour la vie, son amitié avec les hommes demeure purement aristocratique. De tous les temps, les princes ont favorisé ses talents pour la chasse. Les rois rivalisent entre eux pour les plus beaux trophées captés par leurs faucons.
Mais le faucon reste de marbre devant tant d’amitié.
Le faucon demeure libre et si vulnérable devant l’humanité…
À suivre
Le pèlerin : L’oiseau noble par excellence. Son manteau, le dessus de sa tête prolongé par des moustaches sont brun-noir. Le devant est blanc jaunâtre tacheté de marron, en long chez le jeune, en travers chez l’adulte. La queue est barrée de noir. Cire, tarses et mains sont d’un beau jaune. Sa longueur varie de 38 à 50 cm, son envergure de 83 à 113 cm. Aile longue et étroite. Son vol, caractéristique, est une alternance de battements rapides et de glissades. Son piqué est foudroyant, il siffle comme une balle. La fauconnerie et l’Art. Christian Antoine de Chamerlat.
Illustrations: H.J. Slijper
Très beau texte.
RépondreSupprimerEt j’aime beaucoup cette expression, « athlètes sans ailes ». Elle en dit bien plus long sur ces forcenés du chronomètre enfermés dans leur bulle que ne le pourrait faire un fastidieux discours.
Chez nous, il n’y a pas de faucons pèlerins mais des crécerelles que l’on surprend toujours avec plaisir suspendus dans les nues à faire le « Saint-Esprit ».
Merci Axel. Vos mots sont justes. Rien ne vaut le pas léger et tranquille. Ce sont les ailes que je préfère.
RépondreSupprimerFaire le "Saint-Esprit". Quelle belle expression. J'imagine très bien les belles crécerelles vous saluer de la sorte.
Merci.