De la littérature : La littérature égyptienne. Naquib Mahfouz

 

Naquib Mahfouz

Je pense au peuple égyptien. Au fil des siècles, cette grande civilisation nous a légué une multitude de merveilles. Le domaine des sciences et des arts n’a cessé d’évoluer grâce à leur sagacité. La littérature égyptienne est particulièrement riche. Les auteurs contemporains prennent de plus en plus la plume et expriment ce que des millions d’illettrés ne peuvent transmettre.

Pendant que certains bloquent les chemins de la démocratie en Égypte et au Moyen-Orient, je pense au peuple égyptien. Je ne peux rien faire de plus. Méditer, espérer la démocratie pour tous ces gens.

Naquib Mahfouz, auteur prolifique et Nobel de la paix, nous a offert sa vision de l’Égypte. En guise d’espoir, il me semble à propos de partager le café et ses mots…

Le café joue un rôle important dans mes romans, et je dirais plus généralement dans notre vie à tous. Autrefois, les clubs n'existaient pas et c'est au café qu'on rencontrait ses amis. Il faut dire que la maison n'était pas un lieu propice à la distraction et à la détente. Nous avons tout d'abord investi l'espace de la ruelle, en attendant d'avoir l'audace d'entrer au café.

J'ai fréquenté le café relativement tôt - au début du secondaire - grâce à Sayed Chamma, notre ami de Ghouriyya. Nous avions un café de prédilection à Darrassa, et d'autres un peu partout. Mais les plus célèbres que nous ayons fréquentés étaient le Fichaoui, puis ceux d'Orabi et de l'impasse du Mortier, ainsi que le Ferdaous., le Rex. Quant au Luna Park, c'est nous qui l'avons inauguré. On y servait un narghileh mémorable. Nous fumions en sirotant quelques verres de whisky et en écoutant Oum Kalsoum.

Ah! c'est vrai, vous m'avez rappelé le café Ahmad Abdou que je mentionne dans la Trilogie - c'est là que Kamal rencontrait son ami Fouad Hamzaoui. J'aimais beaucoup ce café. Il était aménagé en sous-sol, on descendait par un escalier qui aboutissait à une petite cour ronde, avec une vasque au milieu et une ceinture de petits arbustes tout autour. On y buvait un thé délicieux. A vrai dire, c'est moi qui l'ai baptisé café Ahmad Abdou, je ne me rappelle plus son nom véritable. N'en avez-vous jamais entendu parler par les gens du quartier? Ils ont dû l'oublier : il a été démoli il y a des années. C'était vraiment un café superbe, l'un de ceux auxquels j'étais le plus attaché.

Le café est un lieu de fête

Le temps que je passais installé au Fichaoui fécondait ma réflexion, le narghileh stimulait mon imagination et, à chaque bouffée, je voyais une scène nouvelle se dérouler dans mon esprit. Les jours de congé, je passais au Fichaoui la plus grande partie de mon temps. Et puis, le café est un lieu de fête, c'est là que se rencontrent les amis.

Quant aux rencontres littéraires du café de l'Opéra, elles débutèrent en 1943, avec la création du comité qui regroupait auteurs, traducteurs et éditeurs. En fait, nous nous réunissions tout d'abord au café Orabi, mais le groupe des nouveaux écrivains n'avait pas d'affinité avec la bande d'Orabi - les vieux compagnons d'Abbassiyya -, et c'est pourquoi nous optâmes pour le casino de l'Opéra. Nous y demeurâmes jusqu'à en être chassés par la police au début des années soixante. C'était en 1961 ou 1962, je ne sais plus la date.

J'y connus de nombreux hommes de lettres comme Salama Moussa et Louis Awad1. Ce dernier y était venu avec le dessein de fonder une revue. Il pensait que Saïd al-Sahhar avait les moyens de la financer. Nous rejoignirent également Choukri Ayad, Badr al-Dib, Fathi Ghanem, la plupart des écrivains de la génération postérieure à la nôtre. Les derniers temps, nos rencontres devinrent assez didactiques, nous organisions des lectures publiques d'oeuvres littéraires.

C'est tout à fait par hasard que l'existence de ce salon fut découverte. Un jour, le cortège de Nasser passait dans la rue, les hommes du service d'ordre remarquèrent que plusieurs personnes entraient dans le café et montaient à l'étage. L'un deux y grimpa et nous trouva tous installés là-haut. Surpris de nous trouver si nombreux, il redescendit et organisa un rapide interrogatoire : « Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous réunis ici ? » Le verdict tomba: « Cela s'appelle un rassemblement. » Là-dessus, il nous ordonna de requérir désormais une autorisation de la police pour chacune de nos réunions.

C'est ainsi qu'un officier se mit à assister à nos réunions hebdomadaires. Il suivait les discussions littéraires d'une oreille abasourdie, et sursautait à des noms tels que Kafka ou Proust, ou des termes comme « réalisme », « modernisme », un jargon pour lui incompréhensible. Il me demanda même de l'aider à rédiger une synthèse de ce qui s'était passé, c'est-à-dire en clair de dresser moi-même le procès-verbal de la séance pour la police ! Inutile de dire que ces conditions étaient inacceptables, et les rencontres prirent fin, malgré les supplications de l'officier... Pour la police elles constituaient une source importante d'informations.

Nous les reprîmes plus tard au Sphinx, un café situé en face du cinéma Radio. Au commencement, nous étions trois ou quatre amis, mais bien vite les écrivains se donnèrent le mot. Je fis ainsi la connaissance de la génération des années soixante.

Les cafés demeurent pour moi des lieux inoubliables. Tous sont chargés de souvenirs précieux, liés à l'amitié, à la jeunesse, aux meilleures heures de la vie...

Mahfouz par Mahfouz : La vie créatrice au Caire et en Alexandrie.

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