En plein cœur de New York, la librairie fondée par Pierpont Morgan est un sanctuaire incontournable des bibliophiles. Dès 1890, Morgan débuta une collection de documents exceptionnels : manuscrits et œuvres littéraires rarissimes, lettres, dessins et gravures, partitions musicales, illustrations diverses, etc. Aujourd’hui, le sanctuaire fondé par le mécène collectionneur poursuit la mission et regroupe une multitude de documents et de services axés sur la littérature et les arts.
Parmi les collections de la librairie et du musée, certaines font parfois l’objet d’exposition particulière. Jusqu’au mois de mars, l’univers de Jane Austen est à l’affiche. Le centre de conservation Thaw a préparé et fignolé pour cet événement une foule de documents exceptionnels. Plus de cent documents sont présentés afin de relater la carrière de cet auteur inoubliable. Lettres, manuscrits, éditions rares et objets sont regroupés pour l’occasion.
Il est fascinant de pouvoir observer, voire presque toucher, de tels documents. Jane Austen a vraisemblablement écrit plus de 3000 lettres au cours de son existence. De cette correspondance de grande qualité, environ 160 lettres ont été conservées. La librairie Morgan en possède 51. Le centre de conservation a procédé à quelques observations et analyses qui me semblent dignes de notre ami Sherlock Holmes. Le détective se délectait de tous ces mystères entourant la correspondance d’un individu. Le papier, l’encre, les timbres, la plume, tous ces éléments dénotent le caractère et l’identité d’un individu.
Pour Jane Austen, il va de soi que cette activité fut particulièrement importante. Selon les spécialistes du centre, Jane utilisait les matériaux d’usage et plutôt communs à cette époque. La plume d’oie était taillée au fur et à mesure selon les goûts de chacun et permettait une grande souplesse pour l’écriture. La délicatesse de la main trahissait la personnalité de l’auteur. L’encre était facile à se procurer, tandis que le papier était une denrée rare et onéreuse.
J’imagine notre Jane affûtant les armes de son armada, confortablement installée devant son écritoire. La plume d’oie se doit d’être sans entrave, sans ramille inutile autour de la main afin de ne pas provoquer d’éternuements incongrus. La pointe parfaitement aiguisée, ni trop fine ni trop large. Une pointe douce qui glisse sur le grain du papier et qui dessine les lettres des mots sur la page blanche. Un papier de qualité sera préparé pour la correspondance du jour. Un papier avec filigrane, celui que Jane affectionne le plus. L’encre sera délayée au besoin dans l’encrier. Sa teinte variera au fur et à mesure de l’activité. Le teint blafard du début passera du gris bleu au bleu presque noir en peu de temps.
Le papier est rare et coûteux et Jane a encore des choses à écrire… Alors, elle tourne le papier de gauche à droite. Elle écrit dans les marges, dans tous les recoins possibles afin de maximiser le matériel qui s’offre à sa correspondance. La lettre prend des allures de mots croisés dans tous les sens. La correspondance sera réussie. Le ou la destinataire sera ravi. Jane aura rempli tout l’espace disponible. Une correspondance de qualité qui se respecte comme il se doit…
Je me demande ce que Sherlock dirait d’une telle correspondante.
Que feriez-vous si une invitation à dîner avec Jane vous parvenait ? Outre la panique initiale, que feriez-vous ? Une crise d’épilepsie ou d’urticaire ?
Personnellement, je répondrai par l’affirmative à ce prodige. Je confirmerai par lettre mon acceptation, me rendrai à ce rendez-vous inusité en fiacre et robe de bal. Il va de soi que le quadrille serait de mise après le dessert…
Et vous ?
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1. Illustrations : Lettres de Jane Austen. Librairie J.P. Morgan.
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