Chambre avec vue : Le musée national des beaux arts

 

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Il est encore tôt. J’ai le temps de me rendre au musée national des beaux arts. Une exposition sur les peintres américains me semble digne d’intérêt. Je saute dans le bolide. Je pourrais aisément me rendre à pied. Je préfère faire le trajet en voiture afin de profiter mieux de la visite. Le mercredi, le musée est ouvert jusqu’à 21 heures. Il y aura certainement foule et file. Les rues de Québec sont bondées. Néanmoins, les heures d’ouverture étant plus longues le mercredi, je n’aurais donc pas à me hâter. Je pourrais apprécier d’avantage les œuvres présentées et même souper au resto du musée.

Je peste un peu sur la rue Grande Allée. Les bouchons de circulation sont encore légions. Bof! J’ai tout mon temps. C’est mercredi!

Je m’engouffre dans l’allée du musée. Le champ est libre devant moi. Excellent ! Le parc des champs de bataille resplendit à ma droite. Les promeneurs, les joggeurs, les planchistes et les marcheurs profitent du soleil radieux de ce jour d’été tardif. Je cherche un endroit pour garer le destrier. Il y a du monde, mais pas autant que je le soupçonnais. Je déniche un parcomètre tout près de l’entrée du musée. Je prévois une visite plutôt longue. Alors, je laisse toute ma petite monnaie dans la bouche gourmande du sergent de métal.

Quelle bonne idée de me présenter à cette heure. Il n’y pas de file d’attente au comptoir. Je demande un billet pour l’exposition, puis je me dirige vers le premier étage. Bon, je jette un coup d’œil au menu du resto avant de poursuivre plus loin. L’offre me semble intéressante. De mieux en mieux. Je viendrai souper après la visite. Je n’aurai pas à me presser et à sortir le véhicule pour chercher une autre place de stationnement. Je suis ravie.

Je cherche quelque temps les deux salles d’expositions réservées au peintre américain. Je me perds dans les couloirs et me retrouve dans l’ascenseur de service… D’évidences, une statue de Rodin passe aisément entre les portes de cette cage. Je me retrouve au rez-de-chaussée. Je peste encore un peu et je recommence. Bon. Ça y est. Je tombe sur le bon ascenseur. Je refais le trajet de bas en haut et j’arrive enfin à bonne destination. Décidément, le musée est bien tranquille pour un mercredi. Tant mieux, je pourrai contempler les œuvres à mon aise.

Fière de mes initiatives, je me pointe à la première salle. Il n’y a pas un chat. Je pourrais donc admirer les œuvres suggérées de Whistler, Homer, Cassatt, Hopper et même Pollock dans l’autre salle… ça me fait drôle de visiter une salle avec autant d’espace libre autour de moi. En réalité, je suis seule. Outre les deux gardiens de sécurité de la première salle, je suis seule ! Tant mieux ! J’entre le pas léger dans la grande pièce. Sourire aux lèvres, je regarde autour de moi de tous les côtés afin de me familiariser avec la présentation. Plus de 70 œuvres sont présentées. Je me demande de quel côté il me semble bon de me diriger. À gauche? À droite?

Je n’ai pas le temps ni le loisir de choisir. Le gardien de sécurité me signifie clairement de commencer le parcours par la gauche. Bon. D’accord. Pourquoi pas. Je ne me ferai pas bousculer d’un côté où de l’autre, je suis seule. Je me mets à lire les textes de présentations des œuvres. Je suis au début de l’exposition entre deux explications lorsque le gardien vient me dire de porter mon sac à dos devant moi ou à la main… Heu… Bien. Mais, il est tout petit. En réalité, c’est un sac. Point. Mais, si vous y tenez. Je me plie à ses directives pour avoir la paix et j’installe mon sac comme il le désire. Je devrais dire comme il exige. Je me remets à lire les explications et je regarde les toiles de Whistler. Le gardien revient près de moi et me décrit avec sourire en coin ses impressions sur le tableau que je tente de regarder tranquillement puisque nous sommes mercredi et que normalement je devrais avoir le temps de regarder tout cela en paix. Il se recule de quelques pas et semble prêt à me laisser poursuivre la visite en paix, mais il demeure à quelques pas de moi et me regarde de la tête aux pieds. Je tente de regarder les œuvres de Homer, Sargent et Cassatt avec un cerbère à côté de moi. Je commence à perdre patience. J’aime à regarder les toiles des artistes de différents angles. De proche, de loin. J’aime à étudier les pièces doucement, surtout lorsqu’elles me plaisent. Je tente de visiter cette exposition et de regarder les toiles comme je le devrais, mais c’est impossible ! Le gardien de sécurité me suit comme un comme un dément pas à pas et ne cesse de m’observer de la tête aux pieds et analyser chacun de mes gestes. Il croit peut-être que je vais balancer mon minuscule sac à dos qui est un sac à main en réalité à la tête du Whistler que je tente désespérément de voir. Je ne peux pas observer les toiles, car il ne me lâche pas d’un pouce ! Pire ! Son acolyte sort de l’ombre. Ils sont deux dans cette première salle de malheur. Et voilà qu’ils se mettent derrière moi afin de mieux cerner la bête étrange qu’il soupçonne de je ne sais quel méfait. C’est parfaitement ridicule !

Je suis seule dans ce musée de malheur. Ils sont deux gardiens de sécurité mandatés par la CIA du musée à me surveiller comme si j’étais le Ben Laden de peintres américains.

Exaspérée de cet abus de zèle, je tente de me concentrer sur le milieu de la pièce où je remarque quelques toiles plutôt singulières. Je fais fi de ces imbéciles qui sont derrière encore et toujours et je réalise que ces toiles sont des œuvres du peintre Georges B. Luks. Un peintre américain au talent certain. Il se démarque des autres œuvres par les sujets traités et le côté morbide de chacune de ses toiles. Je m’approche et tente d’apprécier si je peux m’exprimer ainsi le côté noir de ces études. Il peint les bas-fonds des villes, les quartiers ouvriers, la misère humaine. Ses portraits sont d’une précision fascinante. Le sadisme de ce peintre est palpable. Je m’éloigne puis je m’approche de la première toile proposée. Soudain, un déclic se fait. Je me souviens de cette toile. On voit une petite fille jouer avec une poupée vétuste dans une rue mal famée. Derrière la petite fille, la silhouette d’un homme se devine. Il est vêtu d’une cape et d’un haut de forme noirs. Il porte une mallette. Ça y est, je me souviens de cette horrible toile. Il s’agit d’une fabulation sur Jack l'Éventreur. Luks fut parmi les suspects. Il fut fortement soupçonné d’être l’auteur de ces horribles crimes… À l’évidence, le bonhomme avait de sérieux penchants pour le sadisme.

Je commence à respirer un peu mieux. Je trouve cette découverte presque satisfaisante lorsque le deuxième gardien de sécurité de ce Guantanamo québécois s’approche de moi et me dit : « Plus de deux pieds des toiles.» Puis, il se recule derrière moi pour mieux observer sa proie.

Cette fois, la colère m’envahit sérieusement. Je le toise d’un de ces regards qui ne pardonnent pas. Ils sont là comme deux imbéciles qui ne veulent absolument pas me laisser regarder, visiter, respirer, admirer. Bref, ils ne veulent pas me laisser regarder ce que je suis venue voir et en droit de voir. Et voilà que les deux autres gardiens de sécurité se pointent dans la salle un. Évidemment, ils n’ont rien à faire dans leurs propres salles. Je suis seule dans tout le musée et ils sont quatre pour me surveiller et me diriger en ce mercredi soir de malheur au musée de tous les malheurs ! Tu sais où j’ai envie de le déposer mon joli sac à dos ! Il suffit ! Iconoclastes ! Paranoïaques ! Bouffeurs de visiteurs ! Il est tôt et je n’ai pas vu la moitié du quart de cette exposition… et vous me mettez en souricière comme un rat de musée ! Je devrais te faire une de ces plaintes en vingt exemplaires. Tu sais pourquoi maintenant il n’y pas un chat dans ce musée des horreurs ! Allez au diable !

Au bout de trente minutes, je suis ressortie de ce musée de malheur avec une colère noire. Il y avait encore beaucoup de temps de réserver au parcomètre… Peut importe, je suis partie de ces lieux en deux temps trois mouvements. C’est mercredi, il est tôt. Je suis en vacances. Je me trouverai bien un gentil resto où l’on me permettra de regarder le menu et de me restaurer en paix !

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1. Illustration: Georges B. Luks


 

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Commentaires

  1. Mlle Mireille, êtes-vous certaine qu'il ne s'agissait pas d'une bande de faux gardiens mandatés par Juste pour Rire jaune dans un musée ?

    Quelle histoire ! Et dire que la place était libre à tout l'émerveillement possible.

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  2. Nina,

    J'aurais aimé que ce soit effectivement une plaisanterie à la Juste pour rire Jaune comme vous le dites si bien. Eh bien non! Ce récit est la pure vérité. Je n'exagère point. Je n'ai pu en aucun temps avoir la paix pour visiter cette exposition. Ils ne m'ont pas laisser tranquille du début à la fin, poussant le zèle à l'extrême, jusqu'à me mettre en maudite colère afin que je quitte!

    De tous les musées nationaux qui se respectent je n'ai jamais vu pareil idiotie. Je me souviens du musée d'Orsay à Paris où j'aurais pu aisément passer la nuit devant chacune des toiles sans me faire agresser de la sorte.

    Aucun musée qui se respecte ne peut sérieusement se rendre aussi désagréable avec sa clientèle. C'est à n'y rien comprendre. je dirais même une honte! Je peux vous assurer que je ne remettrai pas les pieds dans ce musée avant fort longtemps.

    Je pense à ses pauvres touristes qui comme moi, se rendent, l'esprit ouvert et plein de bonne volonté, et qui se font abuser de la sorte...

    C'est une honte.

    Merci de votre support, Nina.

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  3. Alors... ça vaudrait certes le coup d'une missive à l'administration de ce musée. Votre récit témoigne parfaitement bien du manque de respect que vous y avez senti.

    En espérant seulement que vous ne recevrez point une réponse toute faite, sur mesure et déjà usée.

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