Jazzoologie: Le saxophone de la rue sans merci 5

crane32

-- Nom d’un chien ! Jimmy ! Ce n’est pas le moment d’improviser ce genre de sortie… Essaie de faire preuve d’un peu plus d’imagination. Une entrée plus rythmée serait opportune et appréciée. Je ne sais pas, moi, un petit air de blues fredonné discrètement en conduisant le pas d’Ella vers la rue sans merci. Tiens, voilà quelque chose qui lui plairait sûrement. Oui. Mais cet air de sauve qui peut, je meurs de vous revoir ainsi au coin de la rue sans merci, sans crier gare ni merci, c’est nul, tu vois… Tout le monde est au désespoir !

Je tentai de ranimer mon pauvre cocher depuis un bon moment. Rien à faire. Jimmy jouait les princes chevaliers fantômes perdus et éplorés des contes de fées et des romans courtois de la légende arthurienne. Je lui tenais la main tout en lui parlant doucement. Cathy-Chien couinait gentiment près de lui. Ella la Rousse ne bougeait pas d’un poil… Les passagers de la calèche étaient descendus calmement sans rouspéter. Rassemblés autour de lui, nous espérions tous que notre cocher saxophoniste revienne à la vie.

Les oiseaux chantaient sur les toits.

-- Ouah ! Ouah ! précisa Cathy-Chien.

-- Nous devrions appeler un médecin, ajouta un passager du premier voyage du jour.

-- Hummmmrrrr ! Hummmrrr ! opina Ella la Rousse.

-- Bah, je ne sais pas si cela est nécessaire. Je crois qu’il ouvre doucement les yeux, dis-je.

L’ombre d’une fée couvrit le visage de Jimmy. La belle dame sans merci s’approcha du musicien en douce. Sans rien brusquer, elle emprunta le saxophone du cocher et se mit à inventer un free jazz que je ne saurais décrire ni interpréter. Les notes s’envolèrent comme des chants d’oiseaux, des gouttes d’eaux, des ruisseaux. Je n’avais jamais entendu rien d’aussi beau.

Marguerite composa le jazz du jour pour le chevalier évanoui et sans merci. Les oiseaux jazzaient sur les cheminées. Ce cœur de blues sembla vivement impressionner le musicien.

-- Ouah ! Ouah ! approuva Cathy-Chien.

-- Délicieux, ajoutèrent les passagers de la calèche.

-- Hiiiiiiiiiii ! précisa Ella la Rousse.

-- Génial ! Tout à fait opportun, n’est-ce pas, Jimmy ?

Mais le cocher saxophoniste demeurait sans voix. Il fixait avec étonnement celle qui jouait si bien avec les sons de la rue sans merci. Au bout d’un moment, il réussit à se remettre sur ses pattes d’oiseaux. Timidement, il osa saluer l’improvisatrice de ce jour de fée.

-- Marguerite… Il y a si longtemps. Je n’espérais plus te revoir…

La belle dame sans merci se contenta de sourire. Elle remit le saxophone au pauvre chevalier désemparé, puis elle disparut dans la rue sans merci.

C’est ainsi qu’un jour de juin, un cocher-saxophoniste, des oiseaux, des aventuriers du Vieux-Québec et des vacanciers sans merci croisèrent la vie sans merci de la belle dame sans merci et du véritable saxophone de la rue sans merci.

À suivre

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1. Illustration : Walter Crane. La belle dame sans merci.


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