Jazzoologie: le saxophone de la rue sans merci 3

waterhouse30 John William Waterhouse. La belle dame sans merci. 1893.

Marguerite vivait sur une île au milieu du grand fleuve. L’hiver était interminable et rude, le printemps court et avare de vertes renaissances. Le chant du vent venait parfois briser la monotonie de cette terre sèche pleine de désolation et pâle. Quelquefois, à l’aube, le chant des oiseaux du lac l’éveillait doucement… Elle marchait seule et triste sur la grève ou les herbes naissent et meurent en silence. Tout le long du jour, elle observait le mouvement de l’eau et des roseaux. Écoutait la marche des insectes, encourageait la course des lièvres, félicitait le labeur des écureuils et se riait de la peur des mulots. La nuit venue sur l’île des arbres aux mille berceuses pour les créatures captives, les fantômes sonnaient les heures du retour aux sources. La vie s’écoulait ainsi, allegro, moderato, selon le rythme du livre secret du Blues des filles du vent et de la rosée.

Le chœur des oiseaux faisait silence.

Marguerite était l’enfant d’une fée. L’ondine regardait le monde de ses yeux verts, respirait l’odeur des fleurs sauvages avec délicatesse et chantait les complaintes de ses ancêtres avec compassion. Ses longs cheveux ondulaient jusqu’au sol et rythmaient chacun de ses pas. Seule sur les sentiers de ce domaine triste et inhospitalier, elle se rappelait la musique des jours heureux. Parfois, elle s’asseyait au pied de l’arbre du sentier périlleux et se laissait aller à quelques vagues à l’âme. Les berceuses d’un temps lointain, les chants d’un temps jadis ou les chevaliers venaient parfois se perdre dans les sentes des bois noirs de l’île, résonnaient partout jusqu’aux confins de ce domaine. Ce qui, on se doutait bien, était à l’encontre de tout sens de la vie et de la mort et contre la volonté des sorciers, gardiens du livre secret du Blues de la fille du vent et de la rosée.

waterhouse30Les chevaliers étaient désormais de sombres fantômes et le chevalier au noir destrier semblait perdu à tout jamais. Celui-là, Marguerite l’avait bien aimé. Pour un instant, elle avait osé croire au sentiment pur du vent et de la rosée. Elle avait donné les quatre baisers… Mais les fantômes du côté sombre de la vie des ondines de l’île avaient depuis belle lurette d’autres projets et choisirent un cruel destin pour la fée. Depuis la création de ce décret inscrit dans le livre des notes secrètes, personne ne venait se promener sur l’île. La tristesse régnait du soir au matin sur l’île de la désolation sans lendemain.

Le chœur des oiseaux faisait silence.

Et pourtant, un jour de juin, Marguerite mit sa robe d’ondine au rancart. Elle enfila ses jeans, un tee-shirt et un chapeau à fleurs. Faisant fi du livre des heures des grands sorciers de l’île, elle fit ses adieux à toute cette désolation et mit le cap sur le Vieux Québec. Elle troqua le blues des fantômes pour le jazz des chevaliers et quitta l’île sans aucun merci.

C’est ainsi qu’un jour de juin, un cocher, un destrier, une touriste, une Cathy-Chien et un saxophone croisèrent la route de la Belle dame sans merci…

À suivre…

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1. Illustration : John William Waterhouse. La belle dame sans merci.


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Commentaires

  1. Mon dieu, n'y aura t-il jamais un livre de ces si beaux textes ;)
    Quel trésor de lecture.
    Moi j'aime_

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  2. On dirait une Belle dame sous souci qui va passer dans la rue.
    C'est avec impatience que j'attends la suite.

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  3. Eipho> Merci de ce gentil commentaire. Pour le moment, il y les Cahiers Mireille Noël qui sont disponibles :

    Cahiers Mireille Noël

    Le Cahiers no 2 sera prêt sous peu...

    Merci de ton amitié.

    Sil> La suite ne saurait tarder, car la belle dame sans merci se soucie de rattraper le temps perdu...

    Bonne poésie.

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