Jazzoologie: Le saxophone de la rue sans merci 2






De la rue du Trésor, la rue des artistes-peintres de la rue, je me dirigeai vers la fontaine de Robin des bois. Je venais de terminer, ou presque, la promenade matinale de Cathy-Chien dans les rues du Vieux-Québec. Avant de revenir à l’hôtel, je tenais à faire une halte dans le parc. Près du fleuve, le château Frontenac se dressait tel un géant indéfectible prêt à affronter tous les dragons de la Terre et même des océans.

Cathy-Chien toisait les pigeons tandis que je scrutais l’horizon. Nous étions alertes comme des vacancières affamées de découvertes. Le ciel se montrait d’un bleu délicieux, les nuages dansaient sur le blues d’un temps sans orage. Perdue dans cet espace idéal, ce début de juin mémorable, je me mis à rêver d’une longue période de vacances dans ce merveilleux Québec. Un week-end par-ci par-là, oui d’accord, c’est intéressant. Un été complet à me balader, à trimballer Cathy-Chien de promenade en promenade sur la promenade Dufferin… Enfin, il me semble que ce serait drôlement inoubliable.

Assise sur le banc de Robin, je mijotai différents arguments à mettre sur la table pour le dîner. Les pigeons devenaient de plus en plus curieux. Ils ne se souciaient guère de la présence de mon chien. Je dirais même qu’ils faisaient preuve d’un certain sans-gêne. Bref, mon chien de chasse avait adopté le rythme des vacances, car elle ne démontrait aucun intérêt pour ces oiseaux un peu trop racoleurs à son goût.

Cependant, elle se mit à pointer vers la droite sans aucune raison apparente. Il me sembla entendre des bruits nouveaux émanant des rues voisines. Je tendis l’oreille avec plus d’attention. Cette fois, les sons étaient plus nets et se rapprochaient de nous. Je discernai bientôt la source de l’émoi de Cathy-Chien. Le bruit de plusieurs sabots résonnait sur les pavés. Je ne pouvais évidemment pas encore discerner les chevaux. À l’évidence, ils étaient en route vers le Château. Je ne les voyais pas encore. Je les entendais marcher au pas, puis au trot… Je sentais leurs présences dans les rues du Vieux-Québec. J’avais presque oublié que ce rituel s’effectuait tous les jours en période estivale. Quelle honte pour une chevalière en vacances…

Cathy-Chien se mit à trottiner autour du banc. Je crus percevoir un gémissement tout à fait nouveau. Un phrasé légèrement rythmé, sautillant, plein de vie émanait de mon quatre pattes. Étonnée de ce signe musical complètement inusité, je me tournai à nouveau vers la source de tous ces émois. Une musique se mêlait désormais aux bruits des sabots. Cette musique était douce, attirante comme un rayon de soleil. Je compris que Cathy-Chien répondait à l’appel de ce vent musical. J’assistai à une improvisation canine et équestre au cœur du Vieux-Québec.

Sur ces entrefaites, la procession extraordinaire apparut dans la rue du Château. Je comptai une, deux, trois… huit calèches ! Les destriers firent leurs pas de danse, leurs entrées en douceur et en musique devant ma fontaine et mon château. Chacune des bêtes portait des couleurs distinctives. Leurs attelages étaient enjolivés de rubans colorés et de dorures. Tout cela me sembla si fascinant que j’en oubliai Cathy-Chien qui hurlait maintenant sa nouvelle musique à tue-tête. Je calmai la pauvre dame effrayée. Je la pris dans mes bras, puis je m’approchai de ce cortège fleuri.

Le maestro de ce manège s’arrêta devant le château, à l’endroit réservé aux calèches. Son cheval était puissant et confiant dans ses gestes. Sa robe était d’un noir sublime, sa crinière descendait sur son encolure comme une aquarelle et une toute petite tache blanche comme une étoile ornait son front. Ce cheval était assurément coquet ! Un magnifique chapeau orné de plusieurs marguerites le protégeait des rayons de soleil trop ardents. Une impression de calme se dégageait de cette bête. Une sensation de bonheur comme un week-end de vacances.

Le cocher demeura un moment perché sur le banc de cette machine. Il poursuivit la musique du jour au grand bonheur de Cathy-Chien. Le duo reprit de plus belle… Des tons de jazz et de blues émanèrent bientôt. Le cocher était saxophoniste et se plaisait à dialoguer avec tout un chacun par sa musique…

C’est ainsi qu’un mouvement de jazz pacifiste croisa ma route et qu’un cocher,
un cheval et un saxophone mirent ma vie à la merci d’une rue sans merci.

À suivre…

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1. Illustration : Georges Frederic Watts. Sir Galahad.





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