Bestiaires fabuleux: le cheval



Bartholomaeus Anglicus [13e siècle de notre ère] (De proprietatibus rerum, livre 18): Les chevaux sont heureux dans les champs de bataille. Ils aiment l'odeur de la guerre et le bruit des trompettes les réconforte. Ils entrent dans la lutte avec fierté au rythme de cette musique qu'ils aiment. La désolation les afflige lors d'une défaite tandis que la joie les transcende dans la victoire. Ils savent ressentir l'émoi et la peur de l'ennemi et se jettent dans la lutte avec force en mordant et ruant. Ils sont fidèles à leurs seigneurs et ne souffrent aucune défaite. Certains sont si fidèles à leurs maîtres qu'ils refusent tout autre cavalier. Et de nombreux chevaux de pleurer quand leurs seigneurs meurent. Et il est dit que le cheval pleure de tristesse, à la droite de l’homme qu’il honore. Le cheval et l'homme sont ainsi jumelés. Lorsque les hommes doivent lutter contre les éléments de la nature, voire de source divine, ils peuvent prévoir leurs destins par la joie ou la tristesse de leur cheval. Les anciens disaient qu'un bon cheval noble doit présenter quatre qualités essentielles: la forme, l'équité, l'entêtement et la couleur de la robe. À sa naissance, le poulain arbore en son front Iconemor. Une parcelle de cuir noire de la grosseur d'une figue sèche. La jument retire délicatement cette peau en la lichant puis l'avale afin que le poulain ne puisse la manger. [...]Certaines sorcières utilisent cette peau pour la confection de leur philtre d'amour. Le poulain n'est pas étrillé avec de la paille, ni brossé par un peigne de cheval, ni forcé à la corde ou au harnais. Il n'est pas soumis aux éperons, à la selle ou à la bride. Il suit sa mère librement, mange de l'herbe, et ses pieds ne sont pas percés de clous. Il est encouragé à courir partout en toute liberté. Finalement, le poulain est sevré est mis au travail. Il est soumis doucement au licou et aux rênes. Le sevrage se fait en douceur. Il sera dressé pour la conduite de chariot, de charrettes et de toutes autres voitures. Il sera formé aux voyages et sera prêt pour les cavaliers et les chevaliers. Le poulain devenu cheval apportera fortune à son maître. Isidore disait que les chevaux sont parfois considérés comme des animaux sacrés par plusieurs dieux.
© The medieval bestiary. David Badke. Traduction Mireille Noël.

Depuis toujours, le bestiaire fascine notre imaginaire. Ce recueil de fables et de légendes animales illustre ce dialogue particulier qui nous lie avec les bêtes. Traité d’histoire naturelle, les premières versions connues sont d’origines égyptiennes (IIe siècle), perse (VIe) et latine (IVe). Le Physiologus, la première version grecque de ce type d’album demeure la base de tous les manuscrits répertoriés à ce jour. Le fabuleux bestiaire traite de la propriété des bêtes, des oiseaux et des pierres sous forme d’interprétations moralisatrices. Le symbolisme créé demeure fortement influencé par les puissances politiques et religieuses de l’époque. Un nombre important de bêtes sont soumises à l’étude : animaux réels : sauvages ; singe, pélican, éléphant, chameau, crocodile, lion, cerf, ours, aigle, paon, ibis, chouette : domestiques ; cheval, chien, chat, etc. ; animaux imaginaires : griffon, aspic, aspic-tortue, onocentaure, basilic, phénix, licorne, etc. ; anthropologie monstrueuse : cynocéphale, sciapode, etc.

Les précurseurs du bestiaire. — Deux sources antérieures ont influencé les bestiaires médiévaux : le Physiologus et le livre XII des Étymologies d’Isidore de Séville. Du texte original grec du Physiologus, catalogue moralisateur de bêtes, furent tirées entre 386 et 431 des traductions en latin, qui connurent une très large diffusion pendant plusieurs siècles et qui ont laissé un nombre impressionnant de témoins textuels. La version du Physiologus dont se servait sans doute Philippe était composée de 37 articles, qui présentaient dans une disposition quelque peu anarchique des bêtes, des oiseaux et des pierres. Comme leur nom l'indique, les célèbres Étymologies d’Isidore de Séville (mort en 636) visent à expliquer le nom des choses en donnant une étymologie qui correspond aux caractéristiques physiques et comportementales des sujets traités. Le livre XII est consacré aux catégories suivantes : les animaux domestiques, les bêtes sauvages, les petits animaux, les serpents, les vers, les oiseaux et enfin les petits animaux ailés. Les Étymologies sont dépourvues des interprétations exégétiques qui caractérisent le Physiologus ; Isidore de Séville s'intéresse plutôt au côté scientifique de son sujet. Au contraire aussi du Physiologus, les Étymologies bénéficient d'une nomenclature rigoureuse exigée par leur contexte encyclopédique. Lire la suite…
Shannon Hagen Cottin-Bizonne. Le bestiaire, naissance d’un genre.


Le cheval, considéré comme un animal domestique dans les bestiaires, tient une place importante dans la mythologie médiévale. Il est la plus noble conquête de l’homme et le plus fidèle compagnon d’armes des chevaliers. Selon le Physiologus, le cheval aime se promener dans les champs de bataille et courir au son des trompettes ! Il participe à tous les combats et ne supporte pas la moindre défaite. Un cheval ; un maître. Bucéphale en tête, le destrier ne se laisse pas dresser pas le premier venu. Son apprentissage requiert la finesse du Petit Prince. Eh oui, il pleure à la disparition de son maître.

Au moyen âge, en Normandie, comme dans la plus grande partie de l’Europe, la monture privilégiée des rois et des princes était le cheval espagnol. C’était un cheval espagnol que montait Guillaume à la journée d’Hastings ; Geoffroy Plantagenet parut aux fêtes de Rouen sur un cheval espagnol ; Richard Coeur de Lion fit son entrée à Chypre sur un cheval de cette espèce, et un chevalier donna au monastère de Saint-Michel sont destrier d’Espagne.

Le cheval espagnol n’était pas le seul étalon méridional employé au croisement de la race normande : les chevaliers chrétiens ramenaient encore des diverses croisades un nombre considérable de chevaux orientaux ; nous en avons la preuve, entre autres par les deux coursiers de Richard Coeur de Lion, achetés par lui dans l’île de Chypre et chantés par les poètes du temps.

Voici la traduction rimée d’une des strophes qui leur ont été consacrées :

Aucun ne peut les égaler,

Soit dromadaire ou destrier ;

Chameaux courants, chevaux du More,Sont loin d’aller si vite encore ;

Aussi pour mille bons ducats,

On ne les aurait certes pas.
Ephrem Houel : Le cheval normand au Moyen âge (1881)

Les anciens disaient que le cheval doit posséder quatre qualités à sa naissance : la forme, l'équité, l'entêtement et la couleur de la robe.

As to form, the body should be sound and firm; its height consistent with strength; long and narrow in the flank; haunches, large and rounded; broad chest; the entire body knotted with the thickness of its muscles; dry hooves, supported by a curved frog. As to beauty: its head should be small and dry; the skin taut against its bones; the ears, short and neat; the eyes, large, the nostrils broad and the neck erect; the mane, and tail, thick; the hooves firmly curved. As to temperament: it should be bold of spirit, light-footed, with quivering limbs - a sign of courage; it should be easy to rouse when it is at rest, and once it has been put to the gallop, it should not be difficult to control. You can judge the pace of a horse by the pricking of its ears, its mettle from the quivering of its limbs. The main colours to be found are: bay, golden, rosy, chestnut, tawny-red, pale yellow, blue-grey, dappled, light grey, brilliant white, ordinary white, piebald, black. After these come variegated colours based on black or bay; other mixtures or those which are the colour of ashes are the lowest sort.
© The Aberdeen bestiary. Folio 22v. The horse. University of Aberdeen. Colin McLaren and University of Aberdeen.

Le cheval était la Ferrari du moyen âge, le bolide infaillible des chevaliers. Les rois et les cavaliers de toutes provenances payaient une fortune pour celui qui devait leur assurer gloire et fortune. Et que dire des philtres d’amour ! On connaît la complainte de Tristan et Iseult…

Décidément, le cheval fascine et demeure une icône incontournable de tout bestiaire qui se respecte.





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Illustrations: 1. © Det Kongelige Bibliotek, GKS 1633 4º ; Bestiarus : 26 verso. Bestiarium of Anne Walsh (England c. 1400-1450 ( ?)). The Greek Physiologus. 2. © Bibliothèque Nationale de France, lat. 3630, folio 84r. Cheval courant dans la forêt. 3. © Huntington Library, HM 27523, folio 228r. Cheval bleu tacheté.




Commentaires

  1. Merci Mireille Noël pour cet article intéressant. J'aime bien l'image du cheval en Ferrari du Moyen Age !!

    Vous avez raison, le cheval fascine.

    Bien à vous.

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  2. Sil> Le cheval est fascinant et son histoire également. C'est fou tout ce que nous pouvons imaginer pour aller de plus en plus vite, et ce à quel coût... (matériel et environnement)

    Le cheval était la ferrari, l'essence du moyen âge. Heureusement,il a survécu.

    Bonne Saint Jean à vous!

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  3. Entre mes livres, mes écrits et lorsque je passe sur la toile, j'ai beaucoup de lecture et trop de chose que j'aimerais lire partout à la fois.
    Je regrette de ne pas avoir plus le temps pour ici, car ce blog me fascine. D'ailleurs il reste bien classé dans mes favoris ;)
    Peut-être faudrait-il que j'imprime pour ces temps où je me trouve à vadrouiller sous les quatre saisons.

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  4. Eipho> Comme toujours, tes commentaires me touchent. Ils sont justes et portent à réfléchir. Oui,il y a beaucoup de choses à lire sur la toile et de la qualité à découvrir sur plusieurs carnets littéraires.

    Malgré tout ce que l'on peut en dire, l'internet nous force à revoir nos façons de lire et d'écrire. Le livre se forge de nouveaux supports et de nouveaux lecteurs. Je crois que cette évolution est saine. Une nouvelle forme de lecture et d'écriture prend son envol. Il existe de bons et de mauvais blogs littéraires comme il existe de bons et de mauvais livres. À chacun de naviguer comme bon lui semble.

    La Biosphère est un exemple de qualité dans ce monde de la littérature sur le web.

    Le plaisir de lire ce livre qui nous tient compagnie demeure par la magie de l'impression...

    Le livre n'est pas mort; vive le livre!

    Merci Eipho!

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