Il était dans la famille depuis toujours. À cette époque, je ne connaissais pas toute son histoire. Je lisais son nom sur la plaquette bien en vue sur le tablier : Pratte. Je caressais l’imposante armature à l’aide de mon index, je tapotai le dessus, les côtés et puis le dessous. Quel voyage étrange celui de l’explorateur des boîtes à musique! Les sons prenaient une tout autre dimension lorsque leur route déviait par les chemins secrets de l’enfance, l’antre entre-deux mondes des marins d’eau douce cachés dans la douceur de la musique du monstre.
La teinte acajou de sa robe me fascinait. J’aimais les reflets qui valsaient selon les heures du jour et de la nuit. Le vieux piano droit se tenait bien droit dans la salle de jeu. Le meuble à musique meublait ma vie et celle de toute la famille.
Il était surtout destiné au paternel et à son accompagnatrice. Régulièrement, la dame venait à la maison et s’efforçait de faire répéter les multiples répertoires de mon père. Les chansons se succédaient l’une après l’autre comme par magie, le tout entrecoupé de rires et de quelques reprises, histoire de bien écouter le maître de musique.
Le piano dessinait la musique à l’ordre du jour…
Un des grands plaisirs des enfants demeurait la visite de l’accordeur. Un être magnifique et mystérieux issu d’un jardin lointain peuplé d’instruments bizarres et fascinants destinés à redonner les couleurs aux cordes vocales de notre piano. L’homme était souvent aveugle. Cette qualité augmentait son acuité pour les maux de sons de notre piano. Je ne sais par quel miracle, il réussissait à démonter le majestueux instrument et à sonder chacune de ses petites pièces jusqu’au fond de son âme… Bouche bée, je le regardais opérer d’une main alerte, ajustant les cordes de mon dragon acajou.
Je ne jouais pas de piano. Je préférais faire chanter les cordes de ma vieille guitare. Pourtant, je me souviens de mon vieux piano avec beaucoup d’affection. Les répétitions étaient des jours de fête.
-- Il est bien ce vieux banjo, affirma Mémé devant le piano. Il est un peu encombrant pour la route, mais tout de même, il est bien.
-- Il est bien ? Eh oui, ça alors, il est magique ce banjo. Tu peux me jouer quelque chose, Mémé ? dis-je avec plaisir.
-- Ah, ça oui, je peux bien te fignoler un petit morceau pour te faire plaisir. Je n’attendais que ça, d’ailleurs. M’empêche, que… il est gros ce trombone. Il connaît le jazz, ton saxophone ?
-- Je ne sais pas, Mémé. Demande-lui, tu verras.
-- Nom d’une java mexicaine, je vais lui chanter le refrain du vieux Astoria, on verra bien. Alors ça, je n’avais pas prévu retrouver mon banjo comme ça de butte en blanc avec des notes de toutes les couleurs. Le noir et le blanc lui vont bien, je trouve. Nom d’un be-bop. Vive les crises d’urticaire.
Mémé se jeta doucement corps et âme dans un vibrant concert improvisé en l’honneur de mon grand piano. Je savais qu’elle pouvait jouer de n’importe quel instrument avec une incroyable dextérité. Cependant, je n’aurais jamais pu imaginer une telle qualité… J’écoutai Mémé dialoguer avec les notes pendant si longtemps que je m’endormis dans le fauteuil…
La berceuse des deux vieux pianos m’avait complètement transportée dans un univers mémorable, où les répétitions se répètent à perpète sans complexe ni perte de mémoire…
Le bonheur est parfois épuisant.
À suivre…
_____________
1. Illustration: Edmund Blair Leighton. Courtship.
La teinte acajou de sa robe me fascinait. J’aimais les reflets qui valsaient selon les heures du jour et de la nuit. Le vieux piano droit se tenait bien droit dans la salle de jeu. Le meuble à musique meublait ma vie et celle de toute la famille.
Il était surtout destiné au paternel et à son accompagnatrice. Régulièrement, la dame venait à la maison et s’efforçait de faire répéter les multiples répertoires de mon père. Les chansons se succédaient l’une après l’autre comme par magie, le tout entrecoupé de rires et de quelques reprises, histoire de bien écouter le maître de musique.
Le piano dessinait la musique à l’ordre du jour…
Un des grands plaisirs des enfants demeurait la visite de l’accordeur. Un être magnifique et mystérieux issu d’un jardin lointain peuplé d’instruments bizarres et fascinants destinés à redonner les couleurs aux cordes vocales de notre piano. L’homme était souvent aveugle. Cette qualité augmentait son acuité pour les maux de sons de notre piano. Je ne sais par quel miracle, il réussissait à démonter le majestueux instrument et à sonder chacune de ses petites pièces jusqu’au fond de son âme… Bouche bée, je le regardais opérer d’une main alerte, ajustant les cordes de mon dragon acajou.
Je ne jouais pas de piano. Je préférais faire chanter les cordes de ma vieille guitare. Pourtant, je me souviens de mon vieux piano avec beaucoup d’affection. Les répétitions étaient des jours de fête.
-- Il est bien ce vieux banjo, affirma Mémé devant le piano. Il est un peu encombrant pour la route, mais tout de même, il est bien.
-- Il est bien ? Eh oui, ça alors, il est magique ce banjo. Tu peux me jouer quelque chose, Mémé ? dis-je avec plaisir.
-- Ah, ça oui, je peux bien te fignoler un petit morceau pour te faire plaisir. Je n’attendais que ça, d’ailleurs. M’empêche, que… il est gros ce trombone. Il connaît le jazz, ton saxophone ?
-- Je ne sais pas, Mémé. Demande-lui, tu verras.
-- Nom d’une java mexicaine, je vais lui chanter le refrain du vieux Astoria, on verra bien. Alors ça, je n’avais pas prévu retrouver mon banjo comme ça de butte en blanc avec des notes de toutes les couleurs. Le noir et le blanc lui vont bien, je trouve. Nom d’un be-bop. Vive les crises d’urticaire.
Mémé se jeta doucement corps et âme dans un vibrant concert improvisé en l’honneur de mon grand piano. Je savais qu’elle pouvait jouer de n’importe quel instrument avec une incroyable dextérité. Cependant, je n’aurais jamais pu imaginer une telle qualité… J’écoutai Mémé dialoguer avec les notes pendant si longtemps que je m’endormis dans le fauteuil…
La berceuse des deux vieux pianos m’avait complètement transportée dans un univers mémorable, où les répétitions se répètent à perpète sans complexe ni perte de mémoire…
Le bonheur est parfois épuisant.
À suivre…
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1. Illustration: Edmund Blair Leighton. Courtship.
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Bonjour Mireille
RépondreSupprimerUn beau texte en ce dimanche.
J'aime beaucoup les dialogues de cette mémé
"Nom d’une java mexicaine" m'a bien fait rire.
Encore un billet agréable à lire, merci.
Et tant de petites certitudes...
RépondreSupprimerEt si je t'écrivais les poêmes des autres... Ils seraient merveilleux.
Je te les réciterai, plutôt. Ils seront encore mieux...
Grand sourire, Mirelle, Mireille...
Gaëna
Les improvisations dialoguées de Mémé sont particulièrement amusantes à imaginer. Le ton est rhytmé et coloré à l'image de cet être imaginaire à aimer.
RépondreSupprimerMerci Eipho!
La certitude que tous les récits de la princesse des bois aux talons hauts perchés seront délicieux et savourés par tous comme de succulents trésors des légendes merveilleuses.
Des récits bleus...
Des récits indigo...
Des récits pour grandes et immenses certitudes en bleu et bleu.
Bonne mer, Gaëna!
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