Je connaissais les talents artistiques de la mémé de Danny. Elle confectionnait des courtepointes multicolores magnifiques, dansait le be-bop, le cha-cha-cha et le one-step comme personne, envoûtait les salles de musique de tout acabit par ses improvisations de jazz et de blues, cuisinait des merveilles dans sa cuisine tel un alchimiste et que sais-je encore... Néanmoins, je dois avouer que j’avais sous-estimé les talents de tragédiennes de la dame des cafés-jazz de l’Alabama et de la Louisiane. Le discours qu’elle prononça à son arrivée dans le café chinois de monsieur Wing à l’occasion de l’adoubement de Fred le Brave, notre ami du Mexique, demeura dans les annales du clan plusieurs printemps.
-- Enfin, vous voilà, mes chers enfants. Je vous cherche depuis près de trois jours et trois nuits, de la frontière du Mexique jusqu’au cercle polaire de ce quartier de misères polaires, où il fait si froid tout le long de cet incroyable hiver sorti des contes de Dante que même cent cache-nez tricotés serrés ne suffiraient point à vous protéger les idées… Ce froid est une véritable calamité. Et je vous le dis, mes enfants, enfin vous voilà. Je vous cherche depuis la belle lurette arctique de ce petit déjeuner du matin de ce matin, où, brave et insouciant comme ce nouvel ami chevalier issu du soleil du Mexique, Fred le Brave, que vous osez saucissonner comme un vulgaire condamné politique de ma lointaine enfance en Amérique du Sud, mon Danny partit quérir je ne sais quelle sorte d’éducation avec ce cours accéléré d’adoubement en trois glaces italienne… Nom d’un coton, c’est à y perdre son mexicain. Vive la varicelle !
-- Heu… Mémé, tu veux une glace ? demanda Danny.
-- Je veux un banjo. Pas n’importe quel. Je veux le mien, celui de ma première communion au Bougalou’Ins de la troisième rue du centre-ville de Georgia town. Il vit à mes côtés depuis si longtemps. Je ne vois pas comment je pourrais envisager l’ombre d’un printemps sans ce compagnon des bayous si cher à mon cœur. Je le cherche depuis cent printemps. Et pourtant, messieurs les enfants, il était là, hier soir, si ce n’est pas malheureux de faire l’imbécile de la sorte… Il a disparu, turlututu. Mon banjo est introuvable sur tout le continent nord-américain. Je devrai sans doute envisager le recours à la SPCA ou la CIA, peu importe le type de cucaracha à danser pour le pincer ce petit insolent, je lui mettrai le grappin sur la margoulette ce grand maestro de l’oubliette. Ah, si ce n’est pas une pitié de devoir faire le tour du monde pour un instrument d’expression aussi ingrat qui était là pourtant, il y a un instant. En vérité, les enfants, il n’y a pas ni une ni deux valses de cent printemps à perdre, il faut bien le dire. Nom d’un café brésilien! Vive les oreillons !
-- Je vous dis à demain, les amis. Je rentre à la maison avec Mémé.
-- Enfin, ce n’est pas trop tôt. M, dis-moi, tu aimes les petits banjos de caramel mou? Je viens de terminer une fournée, il y a… quelque temps. Je l’offre au clan pour souligner l’arrivée dans vos rangs de Fred. Il deviendra grand général, intendant de tous les régiments de mon potager, le quartier ne pourra plus se passer de ses talents de musicien et surtout, tout le quartier sera immortalisé de par ses clichés sur notre quotidienneté, ainsi croquée de tous les côtés et sur toutes les coutures. En vérité, mesdames et messieurs, en vérité, les enfants, il n’y a rien de tel contre la peste, le scorbut et le choléra. Cent printemps d’incertitude ne me feront jamais changer d’idée. Le banjo est une calamité à trouver avant le dîner! Nom d’un carnaval, quelle tragédie que ce banjo, banjo de despérado. À bas le tempo de l’incognito. Vive la grippe espagnole !
À suivre…
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1. Illustration: Frida Kahlo. Portrait avec perroquet.
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Hahaha !! excellent
RépondreSupprimerfort bien conté
comme c'est agréable de se marrer au travers nos textes_
Vivement la suite Mireille
Bonne soirée
Merci Eipho,
RépondreSupprimerEffectivement, l'humour et l'amour sont les armes les plus utiles dans la vie de tous les jours.
À bientôt.