Un océan de bouteilles à la mer et...




C’est fou tout ce que l’on peut faire pour se donner bonne conscience. Je tente de faire ma part pour l’environnement en recyclant un peu de tout. Naïvement, je cherche à minimiser les sources de pollution innombrables de notre insatiable société de consommation. À quoi bon vivre dans un monde de surconsommation lorsque celui-ci répand la désolation dans le monde de notre planète.

Je fais le tri de ces joyeux déchets que nous produisons et accumulons quotidiennement et précieusement comme des objets de collections. Une boîte d’explorateur pour les papiers de tout acabit, un sac de voyage pour les contenants de verre, une autre malle de marin pour les bouteilles et récipients de plastique. Tout cet attirail de grands collectionneurs trône tantôt dans un coin de la cuisine, tantôt dans un coin du jardin. Le but de cet exercice de précision, semble-t-il, demeure de les éliminer, de les faire disparaître, à tout le moins de les recycler afin de préserver notre monde. Pendant un certain temps, variable selon les régions et les coutumes des gens, les papillotes de papiers côtoient les papillons du jardin, les pots de verres s’imaginent qu’ils nagent avec les poissons de la fontaine ou de la rivière et les bouteilles de plastique respirent l’odeur suave des fines herbes. Tous ces trophées de supermarchés, de pharmacies, de librairies et de restauration se restaurent au vent, sous la pluie, au soleil ou sous la neige dans des bacs de superexplorateurs de l’an 2000 de la bonne conscience. Notre panoplie de gladiateurs vainqueurs de petits pots de beurre se pavane dans notre monde jusqu’au jour ou tout cet attirail sera transformé, recyclé et remis sur ces pattes pour de nouveau reprendre la route de notre société de surconsommation à outrance, consciente de cet incontournable état d’urgence : il est impératif de préserver notre planète de notre pollution!

Cette agitation amène parfois de rudes combats. Par exemple, ce pot de beurre d’arachides que je forçai à réfléchir sur son avenir dans l’eau de la vaisselle durant toute la nuit. Voilà qu’il me regarde et se rit de moi. Il se rebelle de toute cette opération de nettoyage nécessaire avant le séjour dans l’Éden des bacs. Malgré ce traitement radical, il réussit à me faire mettre en boule par ces agissements déloyaux. Il n’y a rien de plus repoussant qu’un pot de beurre d’arachides qui refuse de se soumettre à la question. Refusant d’admettre la défaite, je prends la lavette et je me lance dans le dernier virage. Un virage vert, il va de soi. Pour le virage-recyclage, il faut aller au fond des choses, utiliser le bout des doigts et la fine tignasse de notre épée de ficelle pour venir à bout de cet insipide et coriace adversaire de notre bonne conscience. Il serait si facile de perdre patience et de le jeter négligemment à la poubelle. Ni vu ni connu. Hop ! Seulement, voilà… j’aime le vent, la pluie, la neige et les couchers de soleil sur la mer. Alors, je frotte, je gratte et je peste sur tous les pots d’arachides du monde qui se rebelle. Ah ! Il est coriace ce coquin ! Mais, le vent, la pluie… toutes ces choses.

Au bout de plusieurs minutes d’un duel infernal, le drôle n’a plus le choix et se résigne. Il capitule. Il a eu raison de ma lavette, mais pas de moi. Il est si propret que je décide de lui offrir une seconde vie royale. Je le destine à une de ces curieuses machines qui gobent le verre et le plastique et qui, en retour, vous donnent des sous. Voilà qui donnera du lustre à ma bonne conscience.

Je me pointe avec la compilation du jour au supermarché gobeur de papillons de papiers, de verre et de plastique. J’examine la machine infernale un moment, puis j’ose une première bouteille à la mer. Le résultat est tellement déprimant que je ressens une chute de bonne conscience immédiate. Je me concentre et recommence. Rien à faire. Le monstre d’aluminium refuse systématiquement toute nourriture offerte. Je perds patience et laisse tout le bataclan sur le comptoir du supermarché. Je lui confie la destinée de mon recyclage. Du diable si cette galère ne trouve pas son homme de recyclage, son sauveur.

C’est fou tout ce que l’on peut faire pour se donner bonne conscience. Quelques jours après cette odyssée, je découvre que les centres de tri sont surchargés et qu’ils doivent se débarrasser de leurs objets de collections en les enfouissant un peu partout dans leurs jardins. Tiens donc il est propre le monde du recyclage. Tellement propre que nos enfants, nos petits enfants et les petits petits enfants de nos enfants pourront découvrir nos produits de recyclages intacts pour des et des siècles !

Heureusement, il y a des gens qui ont bonne conscience. Des gens de science qui ont bonne conscience. Il existe même des gens de science un peu folle qui font des folies pour nous donner bonne conscience. Des explorateurs qui se sont donnés pour mission de faire la guerre au pot de plastique durable et indestructible que notre société de surconsommation de biens durables et jetables sème à tout vent, à toute terre, à toute pluie, à toute neige…

Sur un bateau construit à l’aide de 15,000 bouteilles de plastique, ils ont fait un voyage de fou, histoire de nous faire prendre conscience que notre bonne conscience n’est pas tout à fait au point. Pendant plus de trois mois, ils ont navigué dans l’Océan Pacifique. De la Californie à Hawaï. Ils ont recueilli une foule de raisons pour que nous continuions à prendre conscience de la fragilité de notre planète.

Ils ont découvert un océan de bouteilles à la mer et…

Un pot de beurre d’arachide.

Un océan de pot de beurre d’arachide, immense comme le territoire des États-Unis…

C’est fou.

C’est fou tout ce qu’un simple pot de beurre d’arachide peut faire pour changer le monde et le vent, et la pluie, et le soleil et la neige.

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1. Illustration : Soupe de planctons et de débris de plastique issue de l’Océan Pacifique dans un pot de beurre d’arachide. Algalita. Junk.




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