Les vagues du silence 5




Je poireautai depuis un bon moment sur le palier devant la porte. La maison de Danny me sembla plongée dans l’obscurité. De temps en temps, des sons lointains me parvenaient aux oreilles. Je ne parvenais pas à distinguer la source de leur provenance ni encore moins leurs émetteurs. Il faisait si froid que mes mains commençaient à geler malgré mes trois paires de mitaines. L’heure avançait rapidement. Je risquai de me retrouver en eaux troubles si j’arrivai en retard à l’école. Exaspérée par ces bruits étranges et ce froid intense, je me risquai une autre fois. J’actionnai la sonnette en guise de dernier appel du jour.

-- Dring !...

Curieusement, j’entendis des pas menus se précipiter à l’entrée. Cette fois, mon signal de détresse amical avait été entendu. Bientôt, une voix grave et éteinte se manifesta derrière la porte :

-- Bonjour ! Nous ne désirons rien, ce matin. Merci.

Tonnerre ! Je ne pouvais demeurer de glace… devant un tel accueil. Je me ressaisis rapidement, puis je psalmodiai quelques mots enveloppés de brume polaire :

-- Non ! Ne partez pas. Je ne suis pas un vendeur. Je veux parler à Danny. Voilà tout.
-- Danny ? Ha, mais tout s’explique alors. Eh puis… cela dépend de lui et de plusieurs choses. Tout d’abord et avant tout, savez-vous chanter ?
-- Heu… je demeurai complètement abasourdie par cette réplique matinale en pleine froidure montréalaise. Finalement, je me ressaisis de nouveau et osai une sorte de réponse.
-- Oui… Je sais chanter. Et je veux parler à Danny et l’accompagner jusqu’à l’école.
-- Ha voilà que je comprends tout ! Tout s’explique, répondit la voix vraiment bizarre. Dans ce cas, il est préférable que je vous ouvre la porte et que vous lui donniez un coup de main pour s’habiller. Il ne s’en sort jamais seul.

Enfin, le personnage insolite apparut sur le seuil. La dame était toute menue et me parut centenaire de par ses nombreuses mèches grises et crépues. Emmitouflée dans une couverture de laine, elle me pria d’entrer. Il était temps. Je ne sentais plus mes pieds malgré mes trois paires de bas. Je compris que cette belle dame au sens de l’humour particulier était la grand-mère de Danny. Rassurée, elle m’invita dans le vestibule. Mon pauvre Danny peinait comme un diable pour enfiler une armada de vêtements. Je réalisai que les bruits insolites qui m’avaient intriguée lors de mon attente sur le seuil n’étaient autres que les allées et venues de Danny et de sa grand-mère.

-- Bonjour M. C’est gentil de venir à ma rencontre. Je ne suis pas très accueillant, ce matin. Je termine d'enfiler cette satanée paire de bas et je serai prêt pour la route.
-- Je ne sais pas si tu peux te mouvoir ainsi saucissonner. Il fait froid, mais tu dois pouvoir respirer pour marcher à ta guise.
-- Ha!Voilà, nous y sommes. Marcher. Ha! Mais cela dépend, mademoiselle. Savez-vous marcher, me demanda tout de go, la grand-mère.
-- Si, madame. Je sais marcher. Je préférerais prendre l’autobus si Danny est d’accord.
-- L’autobus ? Eh bien, peut-être un jour, mais pas ce matin. Cela dépend d’une foule de questions et de réponses…
-- Eh bien, je sais chanter, marcher et monter dans le bus. Alors, que devrais-je connaître avant de poursuivre?
-- Savez-vous danser ? précisa la dame.
-- Heu… Non.
-- Ha! Mais voilà ! Alors Danny vous apprendra le tout en chantant, marchant et dansant avec vous.

C’est ainsi que je me retrouvai à pied sur le chemin des écoliers avec Danny et Cathy-Chien en ce premier jour de mon entrée dans le monde de mes nouveaux voisins tout simplement parce que je ne savais pas danser.

À suivre

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1. Illustration: Bob Adelman.




Commentaires

  1. ca fait plusieurs fois que j'essaie de mettre un commentaire, on dirait que cette fois-ci, je vais y arriver ;-) Tout cela pour te remercier de ton passage. Je découvre progressivement ton blog et j'apprécie beaucoup.

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  2. Bonjour Angelina,

    Alors il faut revenir! Merci de ta présence et de tes commentaires.

    Amitiés.

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  3. j'suis toute affairée mais passe tout de même

    vous envoie de doux sourires et des mercis tout bô pour cette vague de silence.

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