Certains jours, nous nous éveillons avec le sentiment étrange que quelque chose à changer autour de nous. Nous ouvrons les paupières sur un monde parfumé de mystères, de découvertes à venir. Encore faut-il mettre la main sur ses sottes pantoufles qui profitent de la nuit pour disparaître, personne ne sait dans quel coin du monde, puis, se rendre perplexe jusqu’à la fenêtre pour mieux humer cette odeur inédite.
Nous ouvrons les yeux sur le monde qui nous entoure à chaque fois que nous ouvrons la fenêtre d’un jour nouveau. Une neige nouvelle danse sur nos terrains de jeux, le givre couvre les vitres de la maison et les branches chantent le blues d’un summertime à venir. Ce paysage somme toute normal nous laisse songeurs. Nous nous sommes éveillés avec des impressions diverses au cœur. Il est de mise de mettre le cap sur ce terrain vague de sentiments en poursuivant la quête vers la cuisine : petit déjeuner du matin de janvier.
Le jour nouveau prend alors les couleurs du jour. Rien de suspect pour le moment. La tribu s’agite autour de la table et s’empresse d’avaler le jus d’orange, d’engouffrer les rôties ou les muffins. Nous retrouvons un cahier de notes indispensables à la classe du jour de Maître Guillaume qui traîne sous la table. Nous ne discutons point de la chose avec Cathy-chien, car l’heure du jour nouveau avance et nous avons encore du pain sur la planche : un vague mystère plane sur ce lundi matin. Il est de notre devoir d’en découvrir les origines.
L’aînée écoute la radio à tue-tête. Le paternel fait semblant de la disputer selon les désirs de la générale dame de la demeure. En réalité, il ne veut rien manquer de ce point de presse. L’actualité est un sujet de l’heure qui le tient à cœur. Il a la politique en horreur, mais l’actualité se laisse écouter, dire et chanter sans trop faire de vagues… Néanmoins, les nouvelles du nouveau jour devront faire quelques silences. La tribu fait la file pour les ablutions, la lessive n’est pas terminée, la robe est froissée, la cravate ne convient pas, le devoir n’est pas dans le sac d’écoliers : le jour se lève sur Nouveau-Bordeaux avec un parfum étrange et vague de déjà vue.
Et pourtant, tout à changer. Nous avons ouvert les yeux sur un monde nouveau. Il nous appartient de le mettre à l’ordre du jour. La voiture est rapidement déneigée, le bus se montre le bout du nez, le nouveau petit copain de l’aînée tente de se dégager de l’entrée afin que le paternel puisse se rendre aux studios et poursuivre la quête de l’actualité du jour. Bref, nous prenons la route du jour.
Les vagues silences du jour nouveau tournent autour de ce monde mystérieux.
Peu importe les saisons, peu importe l’évolution de ce monde qui nous entoure, il nous reste toujours de vagues sensations que tout à changer et que pourtant tout est pareil. Ce matin de janvier, sur le chemin des écoliers, je me souvenais d’un jour semblable et plutôt récent. Une impression étrange m’avait poussée à dévier la route du retour à la maison. Je désirais rendre visite à une ancienne voisine. Je me revoyais sonnant à la porte. Je n’entendais rien, sauf le téléviseur qui faisait le point sur les actualités du jour. Je revoyais la dame, les yeux rouges, la gorge nouée. Je me sentis sotte comme une pantoufle égarée. Puis, je compris rapidement que la dame en émois était au parfum d’un jour chargé des bruits des vagues du silence. Devant une tasse de chocolat et quelques biscuits, elle m’expliqua que des événements dramatiques survenaient parfois sur les jours nouveaux. Certains sont plus troublants que d’autres. Celui de ce jour triste me sembla particulièrement important.
C’était le 22 novembre 1963 : John Fitzgerald Kennedy venait d’être assassiné.
Ce n’était pas des actualités de mon âge. Pourtant, elles ont marqué mes jours par leurs vagues silences qui parvenaient jusqu’à moi aux heures du conte sous les couvertures. Je ressassais ces graves pensées sur le chemin des écoliers. Je percevais qu’un événement d’importance allait surgir au cours du jour… ou du cours. Je ne souhaitai nullement de drames aussi percutants. Je souhaitais seulement un jour nouveau.
Je découvris rapidement un certain côté des mystères du jour. Nous avions de nouveaux voisins à Nouveau-Bordeaux. J’avais un nouveau compagnon de jeux et de classe. Ce jour n’avait somme toute rien de dramatique. Tout au contraire, il se révéla dès plus heureux.
Ce jour de vagues silences s’appelait Danny et il était Noir.
À suivre…
________________
1. Illustration: Robert Rauschenberg. Dancing cliché.
Commentaires
de retour à une connection fiable, ici, vue sur la belle neige bleue diamant, vous lire à nouveau.
RépondreSupprimeroui Mlle Mireille, des quelques choses -à changer-.
j'ai lu hier ce petit conte amérindien Le Vol du Colibri
par Michael Nicoll Yahgulanaas
et c'est ça, juste des petits pas, en pantouffles ou en grosses godasses, peuvent faire taire ou naître certains feux...
... des petits pas, des petits coups d'ailes de colibri.
RépondreSupprimerMouvements de bêtes, loin d'être bêtes.
Heureuse de vous relire avec de si belles idées en tête. Et du feu tout près de vous, on le sent bien.
Le feu se transmet bien de votre lieu de pélerinage jusqu'à nous. Un feu de poésie qui nous réchauffe le coeur.
Bon feu!