Les vagues du silence 4



J’ai attendu qu’il termine de souper. Je l’ai suivi de l’œil jusqu'à la cafetière. Il a mis trois sucres dans son café, puis il s’est dirigé vers le sous-sol. J’attendis quinze minutes pour la forme. Je savais qu’il aimait faire le vide de la journée confortablement assis dans son fauteuil avant de se plonger dans la lecture de ses multiples et indispensables quotidiens, livres et magasines.

Mine de rien, je me pointai dans la chambre des situations. Je faisais des ronds dans l’eau imaginaire devant la bibliothèque. J’attendis qu’il finisse un article, puis j’osai la question :

-- Dis, papa… pourquoi Danny ne vient-il pas jouer avec nous ?

Tranquillement, il a laissé tomber son journal. Il a pris une gorgée de café. Il s’est levé, a fouillé dans la discographie pendant quelque temps. Avec soin, il a mis du jazz… Je devins rouge comme une canneberge. Je sentais que la question était grave et que la réponse serait précise, longue et réfléchie :

-- Je me souviens de cette dame, Rosa Parks. Depuis longtemps, elle ne pouvait vivre en liberté dans son pays. Sous prétexte qu’elle était différente, on lui imposait plusieurs lois. Petite, elle ne pouvait aller à l’école, grande, elle ne pouvait marcher dans les rues comme tout le monde. À l’hôpital, elle n’avait pas le droit de se faire soigner… et puis, dans l’autobus, elle devait s’asseoir derrière. Jusqu’au jour où elle décida que tout cela n’avait aucun sens. Rosa Parks refusa de subir un autre jour d’injustice. La dame Noir refusa la loi des blancs. Depuis ce jour, les gens de couleurs ont gagné un peu de respect, mais il subsiste encore des inégalités, des séquelles de ces jugements sévères envers les Noirs.

Très longue vague de silence dans le sous-sol…

-- Alors vraiment, je comprends que ton ami Danny soit discret avec son nouvel environnement. Je crois que tu sauras trouver les mots qu’il faut pour lui offrir ton amitié. Je suis fier que mes enfants soient respectueux des gens qui ont une culture et une histoire différentes de la nôtre.

Silence.

Le lendemain matin, je me levai un peu plus tôt. Je mis trois chandails de laine et deux paires de bas. Je chargeai l’aîné d’expliquer mon nouvel itinéraire à la mère supérieure de la maisonnée. Puis, entraînant Cathy-Chien dans mon sillage, je pris le chemin des écoliers libres de Nouveau-Bordeaux. Je me dirigeai vers la maison de Danny. Je savais qu’il faisait ce trajet à pied parce qu’il avait peur de prendre l’autobus. J’étais fermement décidée de lui tenir la main dans cette épreuve.

Je tournai le coin de la rue. J’arrivai en face de la demeure de Danny. Le cœur battant, tout de même, et les joues rouges, je me lançai dans l’univers de mon nouvel ami. La maison était toute blanche. Petite et proprette, elle ressemblait à la mienne. Un chien aboya. Tiens, Cathy-Chien aura un nouveau copain.

Je sonnai. Silence. Je sonnai encore. Silence.

À suivre…

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1. Illustration: Bob Adelman


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Commentaires

  1. Ah ! Vous Mme Punch, madame suspense, je vous....
    adore quand même.

    ça m'a fait mouiller les joues cet épisode. à cause du mot papa. chaque fois que j'en croise des bô papas, me mets à sourire et à me laver les yeux.

    vous voudriez pas le faire à la radio ? votre suspense en rouge et noir et blanc ..

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  2. Pour vous Nina...

    Silence...

    je trouve important de le dire lorsque les papas offrent à leurs enfants une vision de la vie sans préjugés.

    Et puis la radio, oui, pourquoi pas.

    Suspense...

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  3. proposez à C.I.S.M ou à C.I.B.L, faites, je vous prie Mlle Mireille


    le mot , les gestes, le visage d'un papa est un simple conte de fée, un film, un rêve en sépia, pour la nina. le mot maman (grRrR) est un cauchemar de claques & balafres et hurlements qui entre par la tête et ressort ces jours-ci sous forme de nouvelle eXtra-traSssh. pas à suivre, ni à lire one day on the screen, juste pour vider le bagage haine.

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