Le Seigneur de l'AnoSLAM 3



Il fait toujours froid sur le quai d’une gare. Je ne sais pas si c’est la fébrilité engendrée par les départs ou la peur de l’inconnu. Je regarde autour de moi et je ne reconnais aucun visage. Je relève le col de ma pèlerine, ajuste les bords de mon chapeau. Rien à faire. Ils ont un regard gentil et accueillant mes voisins de quai de gare. Cependant, je ne peux contrôler cette agitation de l’âme qui murmure en moi. Cet endroit m’est pourtant familier puisque je demeure tout près et que plusieurs fois, toute la tribu s’y est retrouvée avant de monter dans le destrier de fer aux mille rugissements. Je connais cette gare, la gare de Nouveau-Bordeaux. Cependant, c’est la première fois que je m’y retrouve seule… Alors, j’ai un peu froid.

Le paysage de novembre est sinistre à souhait. Les arbres sont nus et la terre est glacée. Les feuilles tourbillonnent autour de moi. Ma tête tourbillonne. Mes mains s’agitent de plus en plus dans les poches de mon long manteau. Je devrais marcher sur le quai, faire quelques grands pas, entreprendre quelques bonjours avec ces gens que je ne connais pas. Je n’ose pas. J’ai peur de m’éloigner de ma petite valise. J’ai peur de perdre quelque chose. Tous les documents que je dois transporter jusqu’à l’autre bout du monde, c’est-à-dire, la ville de New-York, sont réunis dans mon bagage. Alors, je n’ose pas me lever pour aller me chercher une Ovaltine ou une tisane à la cantine de la gare. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans ce genre de voyage au bout de la nuit. J’ai la crainte de cette histoire d’un aller et retour sans retour…

J’ai dix ans et j’ai peur de perdre mon enfance sur le quai d’une gare.

Pourtant, le bilan que je fais depuis mon arrivée sur cette banquette de gare est positif. Je comprends bien tous les objectifs. Je me rends à cette tour bizarre située dans le cœur de la Big Pomme pour plaider la cause de mon quartier. La présidente du clan des Chevaliers de l’encrier se rend en terre étrangère pour le bien de son vert comté-quartier. L’AnoSLAM du clan est solidement accroché à mon cou. Je le sens qui se berce sur mon cœur à chacune de mes respirations. Je devrai présenter tous les documents officiels à un groupe de spécialistes en vert comté. Ces gens sont censés nous aider à sauvegarder notre boisé, notre terre bien-aimée. Je sais tout cela et pourtant, j’ai un peu mal au cœur. C’est peut-être le mal du voyage. Je ne suis pas encore partie et déjà je m’ennuie de mon chez-moi, de mon arbre, de mon lit, de mon Cathy-chien.

Je dois prendre un train pour la gare d’une ville à l’autre bout du monde et ce maudit AnoSlam me donne la nausée. Cet anneau représente le mal. Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi , mais je le sens.

Maître Guillaume m’a pourtant expliqué les pourquoi et les comment de cette histoire d’AnoSLAM qui dure et perdure depuis la nuit des temps. Il m’a dit de me méfier de lui et de ses pouvoirs maléfiques. Il est préférable de l’utiliser uniquement pour ses pouvoirs poétiques, sinon, cette histoire peut devenir une histoire sans retour. Je dois porter l’Ano jusqu’au bout de l’histoire et puis le détruire. Voilà. Facile à dire. J’ai dix ans et je prends un train vers une histoire qui doit marquer la fin d’une noire histoire.

Je suis dans le noir sur le quai d’une gare qui ne mène nulle part. Alors, je me demande vraiment pourquoi je me suis embarquée dans cette aventure qui slame dans mes oreilles comme une chanson à répondre sans réponses. Si au moins je n’étais pas seule. Le voyage serait plus agréable, moins pénible.

Maître Guillaume est formel. Je dois plaider la cause du quartier partout sur les terres inhospitalières, seule. Si seulement, je pouvais partager cette histoire avec Cathy-chien. Je trouverais la route moins longue. Si seulement, les Chevaliers étaient avec moi, il me semble que cette fichue nausée serait moins difficile à supporter.

Non. Je dois prendre le train de l’AnoSLAM seule et sans détour.

Le train est arrivé dans son nuage d’enfer et damnation. Il a rugi mille et un tonnerre de Brest. Je me suis levée, relevé le col de ma pèlerine, ajusté le bord de mon chapeau, ramassé ma petite valise. Je me suis dirigée vers le palier, puis, sans crier gare, j’ai quitté le quai de la gare et je suis montée dans le train de l’histoire d’un aller et retour.

À mon arrivée dans le compartiment du train de l’AnoSLAM, un homme était assis dans le noir. Il me marmonna une sorte de bonjour que j’eus du mal à comprendre. Il s’agissait sûrement d’une sorte d’Elfique, la langue des Seigneurs de l’AnoSLAM du Nord. Je trouvai cet accueil fort étrange et en aucun temps susceptible d’atténuer mes nausées de voyage vers l’inconnu. Cependant, l’inconnu releva la tête et enleva son énorme chapeau.

Aussitôt, j’aperçus quelques flocons danser et jouer sur la vitre du train des voyages au bout du monde. Le paysage me sembla moins hostile. Le courage écrit sur le sourire amical de l’homme effaça tous les hauts de cœur liés aux voyages dans le noir, sans amis.

Slam Gamivy, mon chauffeur et jardinier, était devant moi. Slam prenait le train de l’AnoSLAM avec moi. Mon ami m’accompagnait pour la quête de l’AnoSLAM.

Minuit 20. Il fait moins froid sur le quai de l’enfance de la gare du train vers le seigneur de l’AnoSLAM.

À suivre…

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1. Illustration : Michael Hagues. Les Hobbit ou Histoire d’un aller et retour.


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Commentaires

  1. >Reading is Dangerous:

    Je suis ravie de recevoir de vos nouvelles, vous «l'exilé» comme le dit si bien Nina Louve. Je souhaite que la poésie de Moscou vous soit de plus en plus douce.

    >Fishturn:

    J'ai la chance de croiser sur les carnets des gens de talents, de coeur et d'une fine intelligence. Votre commentaire sur Nelligan m'a touché profondément. Un bonheur au coeur que je garde dans le coeur de la petite valise de Nelligan.

    Vive le retour des rois!

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