Le huit-reflets de Whitechapel 13


Un huit-reflets, une clé, une fenêtre cassée, une porte close…

Quelques jours après le carnage du 13 Miller’s Court, je fus convié à un petit déjeuner chez Sherlock Holmes. Je me doutai bien des raisons de cette rencontre. Cependant, je n’osais rêver à un miracle. Les journaux londoniens hurlaient de terreur ! La ville entière nageait en plein mystère et criait à tue-tête : attrapez-le ! Attrapez Jack l’éventreur !

Plusieurs témoins avaient été interrogés. Une fois de plus, aucun lien ne permettait de mettre le grappin sur le meurtrier. Seul un signalement vague circulait dans les bureaux de Scotland yard. Le tueur semblait âgé de trente à quarante ans, avait les cheveux bruns, des moustaches, des yeux pales, une ossature moyenne, mesurait environ cinq pieds et sept et affichait une mise soignée. D’évidences, il était un maître de l’hypocrisie : Un monstre caché derrière un sourire de gentleman…

Certes, il y avait quelques suspects. Cependant, rien ne prouvait qu’ils étaient effectivement le meurtrier. Inquiet, je me rendis au 221B, Baker Street. Sherlock Holmes ne convoquait jamais personne sans raison. De deux choses l’une : le détective abandonnait les recherches ou bien il avait découvert l’identité de Jack l'Éventreur.

Dès mon arrivée dans l’appartement de Holmes, je remarquai avec plaisir, la présence de l’inspecteur Abberline. Mais surtout, je remarquai sur la table de salon, un objet extrêmement dérangeant : le huit-reflets de Whitechapel.

-- Bonjour Watson. Venez prendre place à la table. Madame Hudson nous a préparé un excellent petit déjeuner. Nous pourrons nous rassasier tout en discutant de cette horrible histoire.

Eberlué, je jetai un coup d’œil vers Abberline qui me sembla aussi angoissé que moi. Je décidai de laisser Holmes nous faire part de ses découvertes et me croiser les doigts sur les résultats envisageables. Je savais mon ami capable de déductions incroyablement véridiques. Sans plus tarder, Sherlock nous résuma les résultats de ses enquêtes :

-- Inspecteur Abberline, nous avons convenu, un peu plus tôt, de taire ma participation dans cette enquête. Je vous saurai gré de ne pas oublier vos promesses.
-- Évidemment, tout ce que vous me direz demeurera entre nous. Je souhaite seulement que nous puissions arrêter ce meurtrier.
-- Je vous ai également mentionné que je trouverai l’homme au huit-reflets de Whitechapel et que son identité vous semblerait invraisemblable.
-- C’est exact…
-- Bien…

Sur ce, Sherlock prit une gorgée de café, puis nous fit un étrange récit :

-- Vous n’aurez pas à arrêter ce meurtrier. Il a terminé son travail. Sincèrement, je ne crois pas que d’autres meurtres surviendront. Du moins, pas de lui. Il a sombré dans un monde obscur, un monde fermé où il se plaît, où plus rien ni personne ne peut l’atteindre. Il a créé un monde à lui…

-- Je ne comprends pas, demanda l’inspecteur. Vous ne désirez pas que l’on emprisonne cet homme ?
-- Il me semble impossible d’imaginer une prison plus terrible que celle qu’il s’est construite. Il n’a aucun remords. Il ne récidivera pas, car il a réalisé les huit-reflets de son œuvre. Je me résume : l’homme a ouvert sa porte et l’a refermée. C’est tout. Il est un mort-vivant.

Sherlock Holmes se leva et poursuivit son incroyable résumé :

-- Il est né à Whitechapel. Son père est mort lorsqu’il avait à peine six ans. Sa mère abandonna toute la famille peu après. Il fut élevé par ses frères et sa sœur dans les rues et les marchés de l’East End. Toute sa vie, il a vécu parmi les marchands de poissons, les miséreux et les prostitués. Il possède la rage au cœur depuis sa naissance… Une sorte de malaise envers les autres. Il ne sait pas communiquer. Il souffre d’un défaut d’élocution très étrange : l’écholalia. Un déséquilibre dans les rapports avec les autres qui le force à utiliser une forme de langage infernal. Il répète des phrases entendues en guise de réponses. Il répète inlassablement des phrases et des scénarios marquants afin de communiquer ses besoins et ses désirs.
-- Catch me if you can ?
-- Catch me if you can? Oui. Il est enragé. Il invente un jeu infernal avec la presse, mais surtout avec la cause de son malheur, de sa colère… la femme qu’il aime et qui ne veut pas jouer avec lui. Il ne supporte pas qu’elle lui résiste, il ne supporte pas de perdre la partie.

Holmes se leva et se mit à marcher dans l’appartement :

-- Je serai plus précis. Le physique et le caractère correspondent aux descriptions des différents témoins. De plus, il connaît Whitechapel comme le fond de sa poche et se déplace à la vitesse de l’éclair. Il possède plusieurs cachettes dans l’East End où il peut préparer ses tueries, se réfugier et se laver avant de regagner sa tanière. Au moment des meurtres, il vivait seul dans Whitechapel. Désormais, il est seul dans son monde. Il n’a plus de contacts avec la réalité. Il a endossé le chapeau de l’homme au huit-reflets de Whitechapel.

Holmes s’accroupit en boule dans son fauteuil avant de poursuivre :

-- Il sait manier toutes sortes de couteaux, mais il ne sait pas manier sa vie. Il tente de contrôler tout, surtout les femmes qu’il aime. La femme de sa vie ne comprenait pas le jeu qu’il désirait lui imposer. Alors, il a décidé de laisser libre cours à sa colère. Il a tué ses semblables, une par une. Martha Tabram, Mary Ann Nicholls, Annie Chapmam, Élizabeth Stride, CatherineEddows… Il a multiplié les avertissements, puis, voyant que cela ne changeait rien, il l’a tué.
-- Mary Ann Kelly, clama Abberline.
-- Il a tendu ses filets, dépecé ses poissons. Il a tué le reflet de sa vie. Il a mis un terme à ses tourments en éliminant la seule personne qui représentait la famille idéale à ses yeux. Il a échoué dans la vie réelle, alors il a créé un monde idéal qui n’appartient qu’à lui. De sang-froid, il a réalisé une série de meurtres horribles comme des phrases infernales jetées dans une dispute d’amants diaboliques. C’est un Mister Hyde et docteur Jekell bien réels.
-- Les preuves ? Quels sont les liens ?
-- Le huit-reflets, la clé disparue, la fenêtre cassée, la porte fermée et le cœur emporté… Il a laissé le huit-reflets en guise de premier avertissement. Le reste est une suite logique : il s’empare de la clé comme de la vie de Mary Ann, il s’assure que l’accès au 13 Miller’s Court demeure possible en cassant la fenêtre, il referme la porte comme il l’a toujours fait en quittant Mary Ann, puis il disparaît dans sa tanière avec le cœur purifié de sa belle-aimée. Il a terminé la leçon de savoir-vivre qu’il voulait lui imposer : sobriété, honnêteté, respect… Joseph Barnett ne pouvait obtenir ce qu’il voulait de la belle Irlandaise, Mary Ann Kelly. Désormais, il a l’esprit en paix : l’homme au huit-reflets de Whitechapel a gagné la partie contre son propre reflet.

Sherlock Holmes se leva, remit le huit-reflets à l’inspecteur Abberline et nous quitta.

Dans la soirée, nous assistâmes au concert de Sarasate.

Je ne l’entendis plus jamais parler de l’homme au huit-reflets de Whitechapel.
Il était un encrier, quelques histoires au long cours à raconter.

Merci à vous qui avez écouté cette histoire.


___________
1. Illustration : Sidney Paget.
2. Adaptation libre de l’auteure d’après l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle.






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Commentaires

  1. //Quelques jours après le carnage du 13 Miller’s Court, je fus convié à un petit déjeuner chez Sherlock Holmes. //

    Il m'aurait fallut au moins une semaine pour recommencer à manger, mais Sherlock et Watson n'ont sans doute pas l'estomac fragile.


    //La ville entière nageait en plein mystère et criait à tue-tête : attrapez-le ! Attrapez Jack l’éventreur !//

    Je suggère: "Attrapez Dick Cheney! Attrapez-le!"

    //Le tueur semblait âgé de trente à quarante ans, avait les cheveux bruns, des moustaches, des yeux pales, une ossature moyenne, mesurait environ cinq pieds et sept et affichait une mise soignée. //

    OUF! Ce n'est pas moi.

    // le huit-reflets de Whitechapel.//

    Franchement: Quel coiffure extraordinaire!


    //lors, il a décidé de laisser libre cours à sa colère. Il a tué ses semblables, une par une. Martha Tabram, Mary Ann Nicholls, Annie Chapmam, Élizabeth Stride, CatherineEddows… Il a multiplié les avertissements, puis, voyant que cela ne changeait rien, il l’a tué.//

    Il y a cette idée affreuse: Préméditer un meurtre en prévoyant de le cacher au sein d'une série meurtrière...

    // Désormais, il a l’esprit en paix : l’homme au huit-reflets de Whitechapel a gagné la partie contre son propre reflet.

    Sherlock Holmes se leva, remit le huit-reflets à l’inspecteur Abberline et nous quitta.

    Dans la soirée, nous assistâmes au concert de Sarasate.//

    J'aime beaucoup la fin. C'est très bien dessiné, en quelques traits.

    Belle énergie! Bravo!!!!
    Et merci à toi, chère Mireille, d'avoir autant travaillé pour tes lecteurs.

    :-)

    Et maintenant je ne veux plus entendre parler de reflet, mais d'une lentille qui me servirait à trouver ton image...

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  2. Reading...

    Je suis très touchée par vos commentaires. Et non, je ne vous crois pas du tout un sérial comments. Je vous connais pour votre coeur grand et bon.

    Merci de votre patience et d'avoir tenté de comprendre mes exercices holmésiens dans l'enfer de cette industrie, celle de Jack l'éventreur.

    De temps en temps,j'aime bien lire les polars. Je précise toutefois que Sherlock, personnage de mon cher Arthur, est un de mes fidèles compagnons. J'aime le Londres de cette époque, les mystères, le brouillard.

    Malheureusement, Jack l'Éventreur est un héros pour certains. Il fascine depuis toujours et se cache dans l'anonymat. Personne ne veut connaître la vérité. Un brouillard morbide le protège...

    Ce n'était pas le but de cet exercice.

    Il n'y a pas de but. Uniquement, le défi de découvrir les faits entourant ces meurtres. J'ai dû décrire quelques horreurs pour illustrer la folie du meurtrier. Je souhaite que cela ne vous ait pas trop troublé...

    Au-delà de toutes ces barbaries, il y a l'impuissance des forces en présence devant la violence et la cruauté. Toute la misère humaine étalée dans la rue depuis toujours qui demande à l'aide. Aucune réponse véritable ne peut secourir un tel déferlement sanguinaire, sans problèmes.

    Ces meurtres en séries me font penser à tous les génocides. Je vois la même folie du pouvoir. Seule l'échelle de grandeur change.

    Le huit-reflets est un reflet de la société londonnienne à l'époque des Docteur Jeckell, Frankenstein, Dorian Gray, Sherlock Holmes, Percy Shelley et combien d'autres romans à saveur gothique.

    Les gens aiment avoir peur... depuis toujours.

    Jack l'Éventreur aura permis d'établir de nouvelles normes d'enquêtes, de nouvelles normes de sécurité. Voilà bien la seule bonne note que je peux trouver à ce monstre.

    Malgré tout, de nouvelles horreurs sont commises partout dans le monde sans que l'on puisse vraiment faire quelque chose pour enrayer complètement le mal.

    Le huit-reflet de Whitechapel est le petit quelque chose que l'auteure à voulu faire pour dénoncer l'industrie de l'horreur.

    Merci Reading.

    P.S.: Je vous promets de porter un chapeau beaucoup plus doux...

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