La rentrée des mots 2


La rentrée des mots de mes dix ans fut un cauchemar. Mes rêves de trêves illimitées dans le quartier s’étaient envolés en quelques jours. Je faisais face à une révolution sans pitié et sans quartier…

La petite G exagérait à outrance les déboires administratifs du clan. Elle prétendait que seule une réorganisation complète de nos responsabilités pourrait remettre les finances du clan sur pied. L’argent est le nerf de la guerre ! Et patati et patata… Des mots de guerre et de terreur qu’elle ne se lassait jamais de nous dilapider par-dessus le bonnet à cœur de jour. Voilà qu’elle citait Voltaire et toutes sortes de proverbes bizarres et étranges liés à l’évolution des mots au cours de la nuit des temps. Des maux révolutionnaires de tous âges. Il y avait de l’abus. J’insiste, il y avait un vent de pollution des mots dans ma rentrée des mots.

La chambre des membres de mon clan située dans la maison de l’arbre de ma tribu était dissoute… Jusqu’à nouvel ordre, je n’étais plus présidente du clan. Enfin, jusqu’au dévoilement des résultats des votes des membres. Le jour du scrutin était déjà établi : Samedi le 27 ! Je n’avais aucun choix. Je devais me soumettre à la démocratie du verbe de Nouveau-Bordeaux et entamer une campagne électorale dans ma campagne au boisé menacé de destruction par la pollution du soi-disant progrès de l’heure à venir: une nouvelle autoroute !

Heureusement, j’avais un rêve… sous le chapeau.

Jour après jour, les cours philosophiques et les récréations poétiques improvisées de Monsieur Guillaume mettaient des couleurs sur ma rentrée des mots. Mon professeur n’était ni noir ni blanc. Je dirais plutôt entre le chocolat et le nougat. Ce mystère devint moins troublant lorsqu’il nous raconta un peu les couleurs de son enfance en Guyane. Un pays de l’Amérique du Sud chargé d’histoires de conquêtes, de pirates et de chercheurs d’or qui métissait les couleurs des âmes. Ce professeur en or pouvait parler des heures et des heures sans s’arrêter pour respirer ni regarder dans son carnet de notes. Non. Il avait toute une panoplie de lettres et de citations fascinantes à nous mettre sur le tableau et dans le cœur. Des mots de toutes les couleurs sortaient de l’esprit de Monsieur Guillaume. Son discours était un rêve…

La présidente de la classe, la petite G, l’interrompait souvent afin de lui souligner sa présence, j’imagine. Elle lui apportait toutes sortes de mots issus de son dictionnaire révolutionnaire. Des mots de pouvoir qui devait lui rapporter de bonnes notes, j’imagine.

Heureusement, Monsieur Guillaume ne se formalisait pas de cette petite mutinerie et poursuivait la démocratie dans sa classe. Lors des récréations, il croquait les pommes offertes le matin par les amis de la petite G et jetait les cœurs trop durs aux oubliettes des mots trop extrêmes… Il s’y connaissait beaucoup en mutinerie des mots, j’imagine. Il connaissait tellement de choses au sujet de la vie des mots.

J’imagine qu’il avait un rêve…

Le discours de Monsieur Guillaume redonnait des couleurs à mon rêve. Je devais trouver les mots qu’il faut pour reconquérir mon titre de présidente du clan. Je devais organiser une tournée électorale dans mon quartier, recueillir des cœurs et susciter des rêves. Je devais semer des discours et susciter des débats à qui mieux mieux tout le long de la route de la rentrée des mots.

L’enjeu de la rentrée des mots était capital : Mon titre égaré pour un boisé menacé !

J’avais un rêve….

À suivre…

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1. Illustration: William Bouguereau



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Commentaires

  1. Bonjour Mireille Noël.

    Les mots sont rentrées pour apprendre,
    Les couleurs, et des nuances, et des teintes,
    Dans la veine de votre rentrée des mots.

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    Bien à vous.

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