Le huit-reflets de Whitechapel 6


À la suite de ce deuxième assassinat, les journaux londoniens semèrent une multitude de controverse parmi la population. Les témoins étaient peu nombreux, les suspects absents et les pistes relevées par les policiers furent jugés insuffisants. La panique s'installait fébrilement dans la City. Les rumeurs les plus folles couraient dans toute la métropole. Un dément attaquait et éliminait les femmes de Londres.
Scotland Yard renforça les mesures de sécurité sur tout le territoire de l'East End. Malheureusement, les policiers trop peu nombreux peinaient déjà à la tâche. Ce tumulte semblait insurmontable. Environ deux mille policiers arpentaient quotidiennement le territoire londonien. Chaque agent devait couvrir un secteur d'environ deux kilomètres en moins de quinze minutes. Les pauvres policiers devaient composer avec une population dense, de nombreuses infractions, des rues mal éclairées et peu de collabortion de la part des résidents. La méfiance envers les forces de l'ordre était tenace surtout dans les quartiers de l'East End. On percevait les agents comme des étrangers, pire des traîtres. Aussi, on préférait observer la loi du silence. Ce qui se passait chez le voisin ne nous concernait pas. La vie était bien assez difficile comme ça. Il semblait inutile de se préoccuper des malheurs des autres.
L'homme aux huit-reflets sévissait vite et en silence. Il débusquait rapidement une proie isolée et faible. Il surgissait de l'ombre en quelques secondes, agressait sa victime par-derrière, se livrait à ses pulsations sordides avec force et violence, puis disparaissait comme un rat dans le brouillard de la nuit. En moins de cinq minutes, il égorgeait, éventrait, réalisait ses fantasmes et abandonnait ses victimes sur place, sans aucun remords.
La nuit du 31 août 1888, plusieurs personnes dormaient près du lieu du crime. Des cochers venaient à peine de terminer leurs quarts de travail et sommeillaient dans leurs chambres, à deux pas du drame. D'autres résidents de Buck Row se préparaient pour une rude journée de travail. Tous ces gens demeuraient à quelques mètres de ce théâtre infernal de la rue. Tous ces gens étaient là. Pourtant, personne n'entendit le moindre cri, le moindre bruit de pas dans la nuit, le plus minime pas de sabot... Rien. Un silence de mort.
Deux jours après le meurtre de Mary Ann Nicholls, je retrouvai Sherlock Holmes et l'inspecteur Abberline au 221, b, Baker Street. Le visage miné par les inquiétudes, le manque de sommeil et la pression imposée par les médias, l'inspecteur nous apparut extrêmement tendu par les événements. Je crus décelé dans son comportement les effets d'un excédent de stupéfiant. Sûrement les traces de l'opium. Je ne fis aucune remarque à ce sujet. Je connaissais les tendances de Holmes pour ce genre de drogue. Aussi, je préférai laisser les deux détectives s'adonner à leurs dépendances, du moins pour le moment. Nous avions assez de soucis sur la conscience.
Les réflexions de Holmes s'avérèrent encore plus inquiétantes:
-- J'ai peur de vous décevoir, inspecteur. J'ai travaillé sans relâche à ce problème inusité et grave. Mes réflexions sont alarmantes. L'homme profite de la situation épouvantable qui règne dans les quartiers de l'East End pour exécuter le scénario qu'il a imaginé de toutes pièces. Il travaille à une oeuvre infernale qu'il élabore au fur et à mesure jusqu'à une conclusion satisfaisante à ses yeux. Il est déterminé à poursuivre ses fantasmes jusqu'au bout. Actuellement, nous n'avons aucun moyen de l'identifier. Je ne peux que vous résumer mes déductions à son sujet ainsi que ce que j'ai mis en place afin de recueillir le plus de pistes possibles. Malheureusement, tout ceci ressemble à un jeu cruel et impossible à maîtriser. Il possède tous les atouts. Je ne peux que tenter de le coincer entre deux sorties de scènes. Aussi, je connais vos méthodes ainsi que les mesures que vous avez mis en place. Je me propose de poursuivre l'analyse des habitudes de vie des victimes ainsi que celles des notes macabres que l'homme laisse sur son passage. Il nous parle à sa manière. Il nous transmet les raisons de ses actes. En réalité, c'est un cauchemar à ciel ouvert, une lame acérée qui frappe vite et en silence. Un dément intelligent comme un rat. Je me concentrerai sur tous les liens possibles que cet homme pourrait avoir avec ses victimes. Je vivrai parmi les gens des quartiers touchés. Il commettra une erreur fatale. À ce moment, je serai en mesure de vous dire pourquoi il démontre une telle rage. Par déduction, je vous dirai à qui appartient le huit-reflets de Whitechapel. Je vous le dirai... mais vous ne me croirez pas...
À suivre...
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1. Illustration: Sidney Paget.
2. Adaptation libre de l'auteure d'après l'oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle.

Commentaires

  1. //La panique s'installait fébrilement dans la City. Les rumeurs les plus folles couraient dans toute la métropole.//

    et

    //Aussi, on préférait observer la loi du silence. Ce qui se passait chez le voisin ne nous concernait pas. La vie était bien assez difficile comme ça. Il semblait inutile de se préoccuper des malheurs des autres.//

    Ces deux extraits rapprochés l'un de l'autre rendent bien l'étendue des contradictions qui minent nos sociétés.


    //Un dément intelligent comme un rat.//

    Un démon de prédation: Il nous habite encore, depuis l'époque lointaine où nous chassions des cafards...

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