Contes de l'encrier: Marcel et le mot perdu 7


Le blizzard devenait incommensurable. Les immenses fenêtres de la maison de l’éditeur menaçaient de rompre devant l’ampleur de la colère blanche. L’intensité de la tempête créait des vagues dans la luminosité de la pièce. Des marées hautes et basses d’éclairs de génie du ciel illuminaient le bureau de la réception.

Marcel tentait de maîtriser ses angoisses. Il ne parvenait plus à réfléchir calmement. Il sentit de violentes nausées, puis des étouffements terribles l’assaillir. Il se laissa tomber dans un fauteuil blanc. Il était blanc comme un spectre.

Malgré sa douleur, il ouvrit un cahier de notes. La page blanche lui donna encore quelques nausées. Néanmoins, il se força à écrire quelques lettres, des phrases… La lettre « A », la lettre « B »… Marcel écrivit n’importe quoi pour vaincre ses angoisses. Cet exercice sembla lui redonner quelques couleurs. Il se mit à noircir les pages du terrible petit cahier en rythmant le geste de la plume avec celui de la colère du vent, la musique infernale de la colère blanche. Le futur lui sembla terriblement ingrat, car il ne parvenait toujours pas à se souvenir du nom de la jeune fille.

Soudain, la tempête de neige domina toute la pièce. Marcel fut plongé dans le noir total au milieu du blizzard. Tous les objets tourbillonnèrent autour de lui. Rien ne résistait à la force de l’ogre blanc. Rien ne retenait plus Marcel sur le satané fauteuil. Rien sauf, le petit cahier noir… qui étrangement le maintenait hors de la colère du temps.

Une page se détacha comme par divination et vint se poser au creux de la main du pauvre voyageur du temps. Une seule page. Un nom : Albertine.

Les nausées de Marcel disparurent. Les étouffements se calmèrent. À présent, il se souvenait. Comment avait-il pu oublier le nom de celle qu’il avait tant aimée, tant détestée, tant racontée. Le nom de celle qu’il avait aimée si longtemps dans le temps.

Au milieu de la tempête blanche, une petite voie illuminée se dessina doucement. Un faisceau lumineux attira le naufragé du temps vers une sortie côté jardin bordé d’aubépines. Il ne comprenait pas ce prodige. Néanmoins, il se leva et se mit à suivre l’étrange manège lumineux. Inexplicablement, le blizzard n’avait aucune prise dans ce passage. Il traversa les couloirs étranges et aboutit dans une immense bibliothèque.

Marcel se retrouva dans le salon Marcel Proust des éditions Gallimard. Il aperçut avec stupeur toute la collection de ses œuvres bien en évidence sur les rayons. Des affiches gigantesques de tous ses livres ornaient les murs et côtoyaient des photos de lui. Marcel retrouva ses esprits. Il n’avait plus peur du futur. Il avait maîtrisé l’angoisse du blanc. Il se mit à soupçonner que le mot « fin » viendrait un jour sur la page d’un terrible petit cahier noir.

Albertine, la jeune fille du comptoir du temps futur, était assise dans un fauteuil lilas. Albertine prenait le thé en lisant des extraits de la recherche. Albertine attendait Marcel au milieu d’une cathédrale de papier engloutie dans le temps.

La belle retrouvée lui remit une lettre scellée, puis disparue dans le temps.

Doucement, il décacheta l’enveloppe. Il y trouva une lettre d’or. La lettre « I ».

C’était un temps d’hiver… Marcel avait récolté sa deuxième lettre d’or. La deuxième lettre d’un mot perdu dans le temps.

À suivre…

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1. Illustration: James Jacques-Joseph Tissot. Lilas.


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Commentaires

  1. >Reading is Dangerous: Je suis ravie de vous retrouver dans ce voyage dans le monde du grand Marcel.

    Une histoire imaginaire, bien sûr, mais tout de même issue du témoignage des témoins des derniers jours d'écriture de Proust.

    Mais, je me tais. Ce conte n'est pas terminé...

    Je reviendrai pour mettre un peu de couleurs dans votre temps.

    Merci à vous!

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  2. Les mots et leurs sens se mélangent joyeusement dans cette histoire où rien n’est compliqué, mais tout est porteur de complexité. On voudrait certainement en savoir plus long sur Albertine (aime-t-elle le chocolat?), mais déjà on s’intéresse à l’identité de la lettre qui va suivre, la troisième, qui doit être un « N » ou nous n’avons rien compris.

    Ça pourrait aussi bien être un « x » pour composer le mot « fix » et soudainement, Marcel aurait trouver la solution son problème d’antan : Pour retrouver le temps perdu, il faut parfois chercher dans les langues étrangères.

    Sur le bout d’une langue rose, j’ai retrouvé mes vingt ans.

    === merci
    pour ce commentaire de bienvenue chez vous!

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