Contes de l'encrier: Marcel et le mot perdu 6


Les destriers blancs galopaient dans les rues de Paris. Le vent rugissait de plus en plus fort. La tempête de neige transformait la Ville lumière en dame blanche. Le blizzard paralysait les grands boulevards. Marcel ne voyait plus que quelques mètres devant lui. Et puis, soudain, plus rien. Le voyageur du temps à la recherche d’un mot perdu dans le temps fut complètement perdu dans un espace de temps blanc.

Malgré tout, la voiture propulsée par les destriers invisibles poursuivait sa route dans le temps. Marcel tentait de suivre le rythme infernal de l’odyssée en se cramponnant tant bien que mal au siège. Un objet lui tomba sur la tête. C’était le fabuleux petit cahier noir. Enfin, il crut que c’était les directives du maître du temps. Cependant, le cahier était étrange. Il était fait d'un métal inconnu et comportait des touches de clavier extrêmement inusitées. Marcel tenta d’ouvrir le boîtier de différentes manières sans succès. Impuissant, il décida d’appuyer sur les touches afin d’expérimenter ce nouveau type de cahier-téléphone.

Miracle! Le message du maître du temps apparut : « Maîtriser l’angoisse du blanc. »

Marcel fut fortement impressionné par ce prodige. Il essayait de trouver une explication logique à ce phénomène lorsque la voiture s’engagea dans une rue étroite. Les destriers stoppèrent devant un immeuble blanchi par le blizzard. Sans autre préambule, la portière s’ouvrit sur un monde électrisant et plutôt angoissant.

Marcel brava le froid, le vent et les rafales de neige jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Il ressentit une impression de déjà vu. Une vive lumière émanait de nulle part comme par enchantement. Des bruits bizarres résonnaient de toutes parts. Des sons aigus plutôt irritants lui mettaient les nerfs à vif. Marcel entra dans le curieux monument. Il tremblait de froid et de peur… Soudain, il fut confronté à une drôle de situation. Il comprit que le maître du temps avait un curieux sens de l’humour. Contre toute attente, Marcel se retrouva dans le futur. Qui plus est, il était dans les bureaux de son éditeur.

L’ascenseur s’ouvrit avec fracas devant lui. Éberlué de tout ce théâtre imaginaire, il résolut de foncer dans l’aventure proposée par le coquin. Il s’engouffra dans la machine infernale et se ferma les yeux. Peu de temps après, un monde complètement féerique se révéla. Tout était blanc. Les meubles, les accessoires, les murs. Tout était terriblement angoissant et blanc! Malgré tout, il s’avança vers la réception. Des gens couraient partout sur cet étage inhospitalier. Les gens galopaient après le temps. Tout le monde cavalait contre le temps qui naviguait incroyablement vite!

-- Bonjour, monsieur. Je peux vous aider? demanda une jeune demoiselle derrière un immense comptoir blanc. La dame s’agitait autour d’une panoplie impressionnante d’instruments machiavéliques. Ordinateurs, télécopies, scanneurs et distributrices à café bourdonnaient près de la jeune fille

Marcel demeura interdit quelques instants devant ces modernités. Il aperçut un calendrier sur la table de travail : 2008. Il comprit que le maître du temps désirait lui offrir des sueurs froides en le transportant dans le futur. Mais, surtout, la voix de la dame lui sembla familière. Cependant, il ne parvenait pas à retrouver ses esprits. Il était blanc comme une page blanche.

-- Monsieur, je peux vous être utile? Vous avez rendez-vous?
-- Je… Bonjour mademoiselle… Je suis désolé. Je suis un peu perdu. Perdu dans le temps pour être plus précis.
-- Monsieur, je n’ai pas de temps à perdre. Tout va très vite aujourd’hui avec ce blizzard. Je vous demande si vous avez un rendez-vous?
-- Je veux bien prendre un rendez-vous si cela est possible. Mais, dites-moi, c’est incroyable. Je… Quel est votre nom?
-- Monsieur, il est de mon devoir de connaître votre nom. Je ne peux tenter de vous accorder un entretien avec monsieur Gallimard si j’ignore qui vous êtes.
-- Monsieur Gallimard?...
-- Oui… Évidement. Je vous demande votre nom.
-- Je… Je m’appelle Marcel Proust.
-- Bien. Évidemment. Monsieur Marcel Proust sollicite un entretien avec monsieur Gallimard. Sauf votre respect, je vous demande votre véritable nom, non votre pseudo. C’est pour l’an 2008 que vous souhaitez cette entrevue?
-- Pour aujourd’hui. C’est urgent. Je dois maîtriser l’angoisse du blanc pour retrouver le mot perdu dans le temps avant la fin… Mais, dites-moi… Comment vous appelez-vous?

La jeune fille disparue dans l’enfer blanc du temps.

C’était un temps d’hiver blanc… Marcel avait un blanc de mémoire devant un mot perdu dans le futur et dans le temps.

À suivre…


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1. Illustration : James Jacques-Joseph Tissot. Too early.

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Commentaires

  1. C’est une belle invention, cet hiver qui devient un brouillard ou un mur de blancheur – la neige est un autre thème que M. affectionne.

    Les instruments décrit sont effectivement machiavéliques : ils prennent sans avoir l’air de prendre. Marcel Proust en 2008 – Il trouverait sans doute que le temps n’a pas changé, mais l’homme et la femme, oui -- euh, en fait qu'en sais-je?

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