Les chevaliers de l'encrier # 3


Il est toujours noble de se sacrifier, et si elle avait cédé à leur supplications, elle se fût épargné l’affligeante impression d’avoir mécontenté une amie, irrité un frère et ruiné un projet qui devait faire leur bonheur à tous deux.
Jane Austen
. Northanger Abbey.

Je décidai de me sacrifier d’avantage pour le bonheur de mon clan, les chevaliers de l’encrier. Après tout, il s’agissait de mes amis. Il importait de rendre hommage à Lavande, la dame Delanote et de faire honneur à notre loyal chevalier, Lancelot Dulac, en remportant la Plume rouge de Camelot par nos prouesses littéraires.

Sous la direction de la petite G, notre entraînement progressait fort bien. Nous connaissions désormais quelques secrets essentiels à notre ascension sociale tels la lecture d’extraits délicieux à l’heure du thé, la subtilité des premiers pas du petit point, les rudiments de base du solfège de Bath, la formation d’un quadrille et quelques phrases clés devant nous permettent de nous frayer un chemin hors d’une impasse dans la jungle mondaine de notre Bath contemporain.

Ma ferveur devint un peu plus évidente lorsque je dus effectuer un exercice de civilités à la Pump Room de Nouveau-Bordeaux. Je m’appliquai sérieusement aux préparatifs de cette promenade au centre commercial. Je repassai ma robe rouge, lavai mes collants, mes gants et quelques rubans. De plus, je poussai l’expérience jusqu’à l’utilisation du fer à friser afin d’orner ma chevelure de quelques boucles esthétiques. Évidemment, ces travaux d’études s’ajoutaient aux autres déjà prescrits par notre dame de tournoi. J’avoue que toutes ces séances dans la baignoire commençaient à irriter ma peau délicate. Je me demandai si je ne développai pas une drôle d’allergie aux sels de Bath, mais enfin… Je pensai au sacrifice et je passai outre mes crises d’urticaire.

Je ne compris pas pourquoi Cathy-Chien hurla l’hallali lorsque je sortis de la Bathroom familiale. Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat ou même un chien de la tribu des chevaliers. Ma mère s’étouffa avec un petit pois en m’apercevant, tandis que mon père haussa les sourcils en guise d’étonnement, puis mine de rien continua son repas. Le reste de la table royale sombra dans la panique… Ils décidèrent d’alerter les pompiers !

Je réalisai un peu l’ampleur de mon sacrifice, mais tout de même… Je les rassurai sur mes intentions. La tribu calmée, je pris la route de l’aventure avec ma lotion pour peaux sèches et ma gourde d’eau de source.

Je me rendis à la Pump Room d’un pas léger. Tous les voisins sortirent de leurs antres sur mon passage. J’entendis certains commentaires plutôt bizarres, mais je poursuivis l’expérience. Après tout, je devais réaliser cet exercice. Je ne comprenais pas, ce que tout le quartier trouvait de si extraordinaire à ce que mademoiselle M mette un chapeau un jeudi soir pour aller se promener au château de North View. D’évidences, mes nobles voisins ne comprenaient point l’ampleur de la situation. Nous avions un défi à relever dans quelques mois et nous devions mettre à l’épreuve toutes nos connaissances sur le monde alambiqué de dame Austen.

Je suivis les directives de la petite G et allai me promener dans les allées du centre commercial. Je saluai les gens gentiment, car je les connaissais tous, puis je pris place sur un banc devant le château, notre cher resto de tous les jours. Je restai ainsi plusieurs minutes afin de tester mon endurance sur le terrain inhospitalier des mondanités. Tout en buvant l’eau de source, j’appliquai un peu de lotion sur ma peau. Je sentis une violente crise d’urticaire sur le gros orteil gauche. Peu importe, je passai outre cette souffrance. Au bout d’une heure, j’estimai que j’avais rempli ma mission et que, franchement ma patience était à bout, pour ne pas dire… au comble de l’exaspération. Je trouvai que mon sacrifice avait assez duré pour le moment. Je décidai de mettre les voiles et de quitter les lieux gentiment puisque les autres membres du clan semblaient avoir oublié notre rendez-vous.

Mon royaume pour un bain à l’eau de source anti urticaire !

À ce moment, la petite G arriva avec le groupe. Je ne compris pas pourquoi elle se roula par terre en examinant mes beaux atours. Après tout, je n’avais revêtit qu’une robe, des gants… et mis un chapeau. Cette tenue était certes un tour de force pour une jeune fille adepte de la salopette. Je lui signalai que j’avais tout de même conservé mes espadrilles. Il y a sacrifice et sacrifice. Humiliation et humiliation dans la jungle de Northanger Abbey.

Je ne me doutais point qu’un autre exercice s’était greffé à cette rude promenade. Je devais me rendre au château pour un thé-frite improvisé avec notre maître de tournoi et un cavalier inconnu. Je protestai légèrement, mais en vain. La petite G insista sur la rigueur des exercices préparatoires de tous les chevaliers de l’encrier.

Mon chapeau de travers, je rangeai un papier mouchoir dans mon sac minuscule. Malgré tout, je gardai mon calme. Je demeurai en pleine humiliation jusqu’à ce que j’aperçoive le cavalier en question.

Dès lors, son visage hanta toutes mes nuits…

À suivre…
_______________
1. Illustration: John Everett Millais. La fille aveugle. 1856.

free music

Commentaires

  1. laver mes bas...
    porter haut un chapeau...
    me joindre au thé-frite...

    Je veux bien.

    RépondreSupprimer
  2. >Reading: Je veux bien! Je suis certaine que votre chapeau est joli.

    >Melo: merci de l'information pour les liens indésirables qui s'infiltrent sur les carnets. J'ai activé la vérification des mots. Je souhaite que cette précaution soit efficace.

    Ne cliquez pas sur les liens inconnus!

    Merci!

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire