Contes de l'encrier: Marcel et le mot perdu 2


Un peu avant minuit, il naviguait profondément sur le cahier numéro 18 de la recherche lorsqu’un murmure étrange brisa sa concentration. Ses oreilles bourdonnèrent intensément. Il ne comprenait pas la provenance de cette douce musique. Il entendit des phrases parmi les phrases, des rythmes singuliers, des notes musicales amicales. Et pourtant, il ne parvenait pas à reconnaître la phrase, la petite phrase. Était-ce Wagner? Beethoven? Non. Plutôt Debussy ou Fauré… peut-être bien Bach? Saint-Saëns?

Marcel mit de côté les cahiers et implora dame Céleste de lui expliquer la provenance de cette merveilleuse petite sonate. Et puis, du diable, que faisaient tous ces musiciens dans l’appartement parisien! Ce n’était pas le moment de compter les temps de la petite phrase. La fidèle gouvernante lui répondit qu’elle ignorait la source de ce phénomène et qu’elle se mettait tout de go à la recherche du mystérieux orchestre.

Céleste n’eut pas le temps de mener son enquête. Quatre destriers noirs tirant un énorme fiacre firent irruption devant la porte de la résidence. Un brouillard intense enveloppait la voiture. De la fenêtre, Céleste vit un inconnu descendre en trombe du bolide. Il frappa trois grands coups à la porte! Sans gêne, comme par magie, il entra dans la chambre de Marcel.

Marcel et Céleste furent terrifiés! L’homme était un géant aux longs cheveux noirs et aux sourcils larges comme des tirets. Il souriait doucement. Il enleva son haut-de-forme, jeta ses gants sur l’édredon et prit place dans un fauteuil. Au bout d’un certain temps, le personnage daigna rompre le silence :

-- Bonsoir, Marcel. Je suis désolé de t’avoir effrayé. Je ne te veux aucun mal.
-- Je veux bien accepter vos excuses, mais je mérite une longue explication. Qui êtes-vous? Et que faites-vous dans la chambre d’un pauvre malade qui travaille d'arrache-pied. Vous perturbez mon œuvre! Je n’ai pas le temps de perdre mon temps.
-- Marcel, je sais tout cela. Je sais beaucoup de choses. Je suis un messager. Un voyageur du temps.
-- Un voyageur du temps? Vous vous moquez de moi? Je voyage dans le temps depuis fort longtemps. Je connais la question.
-- C’est vérité. Je reconnais que tu es un grand maître des mystères du temps. Cependant, il te reste plusieurs choses à découvrir, plusieurs phrases à écrire, plusieurs métaphores à compléter… et le temps est parfois ingrat, n’est-ce pas, Marcel?
-- Le temps est cruel, en effet. Je dois retrouver le temps perdu, trouver le mot perdu. Je dois faire tellement de choses en si peu de temps, alors, monsieur le voyageur du temps, je vous le demande, combien de temps me ferez-vous languir ainsi avant que le temps du mot de la fin soit enfin venu.
-- Je peux t’aider à retrouver le mot perdu…
-- Le mot perdu? Je ne comprends pas. Que voulez-vous dire?
-- Je peux t’aider à retrouver le mot perdu avant la fin si tu acceptes de suivre mes instructions à la lettre et de suivre la quête du maître du temps.

Marcel regarda Céleste de ses grands yeux minés par la fatigue. Désemparé, il se résigna à écouter les propos de ce voyageur cauchemardesque.

-- Bien. Écoute-moi, Marcel. Afin de terminer ton œuvre, tu devras retrouver le mot perdu au cours d’une quête dans le monde du maître du temps. Tu devras réussir trois épreuves. Chacune de ses épreuves comportera des obstacles et des sacrifices difficiles. Tu ne pourras en aucun temps passer outre les volontés du maître. Pendant trois nuits, les destriers du temps viendront te chercher, un peu avant minuit. Dès que tu entendras la petite sonate, tu monteras dans le fiacre. Sur la route, un petit cahier noir te sera remis. Il contiendra les tâches à accomplir pour l’étape de la nuit. Tu devras passer par trois temps. Le passé, le futur et le présent. À chaque temps, tu devras te mériter une lettre d’or. Toutes ces épreuves peuvent te mener à l’aboutissement de la quête du mot perdu.
-- Tout cela est fort désagréable. Je n’ai plus de santé et puis, je n’ai aucune garantie de la réussite de cette thérapie du temps.
-- Marcel, tu n’as pas le choix. Tu dois partir sur-le-champ pour la première épreuve. Le temps est ingrat…
-- C’est impossible! Je ne suis pas en tenue de soirée. Céleste doit préparer mes vêtements, mon café et tout…
-- Regarde bien, Marcel. Tout est prêt. Tu n’as plus qu’à compter jusqu’à trois…

Marcel compta jusqu’à trois.

Aussitôt, il se trouva tout habillé devant le fiacre du voyageur du temps.

C’était le printemps… Il avait rendez-vous avec un mot perdu dans le temps.

À suivre…

_____________
1. Illustration: James Jacques-Joseph Tissot. La galerie du HMH Calcutta.


free music

Commentaires

  1. C’est une aventure à crever. Pauvre Marcel !
    Depuis le temps qu’il est mort,
    Les choses ont peu changé ; on continue d’harceler
    Le poète, les cochers et leurs chevaux –
    Surtout en ville,
    Où on manque de temps.

    Mais c’est très bien raconté ;
    Ce conte arrive à temps – j’avais besoin
    De fantaisie, ma chère Mi.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire