Contes de l'encrier: Marcel et le mot perdu


Il était un encrier, quelques histoires au long cours à raconter.

Depuis quelque temps, Marcel se couche très tard et de fort mauvaise humeur. Le grand écrivain poursuit son œuvre. Il est à la recherche du temps perdu depuis si longtemps que le temps lui semble désormais bien ingrat…

Marcel a peur du temps. Il se demande si le temps qu’il lui reste sera suffisant pour rédiger toutes les jolies métaphores qui dansent dans son esprit. Toutes ses recherches qui lui demandent tellement de temps lui semblent désormais inutiles. Marcel à l’impression de perdre son temps à la recherche du temps perdu. Il veut terminer son travail, retrouver sa joie de vivre avant que le temps retrouvé lui soit offert comme une promenade dans la nuit des temps.

Alors, pour gagner du temps, il a organisé son temps en fonction du temps qu’il lui faut pour rédiger ses impressions. En 1922, le petit appartement parisien est devenu son laboratoire. Il ne quitte plus sa chambre, il ne quitte plus son lit. Marcel consacre tout son temps à la recherche du temps perdu. Il s’accorde quelques siestes du côté de chez Swann, l’aube de quatre heures. Puis, se relève, les cheveux en bataille, du côté des Guermantes, au crépuscule de l’heure du thé. Il reprend les cahiers de notes, choisit une autre plume, plonge la plume dans l’encrier et repart en voyage dans l’enfance de l’art et du temps. Évidemment, Marcel manque de sommeil à force de se coucher aussi tard et de si fort mauvaise humeur. Les cheveux blancs se multiplient, les rides s’accentuent, les courbatures deviennent pénibles et les crises d’étouffements augmentent de plus en plus dans le temps. Marcel a toujours été fragile, mais depuis quelque temps…

De temps en temps, Céleste, dame céleste, lui apporte le temps du jour. La gouvernante, la cuisinière, l’amie de l’explorateur du temps, écoute le temps qui passe dans l’atelier. Selon la respiration de Marcel, elle sait lorsque le temps du petit déjeuner est venu. Elle lui offre le café bien fort, les croissants et les confitures. Gentiment, elle fait la toilette de l’écrivain en prenant soin de cacher les cheveux blancs qui demeurent emprisonnés sur la brosse, et en se gardant de montrer ses larmes au grand corps malade qui a pris soin d’elle depuis si longtemps. Les vêtements sont changés, les draps confiés à la blanchisserie, les poudres et médecines magiques sont diffusées dans la pièce pour atténuer les étouffements. Les notes sont recueillies sur l’édredon. Patiemment, Céleste remet les métaphores en ordre. Elle colle les mots du temps sur les cahiers. Mine de rien, Marcel et Céleste domptent le temps qu’il leur reste pour retrouver le temps.

Cependant, le temps semble de plus en plus court pour Marcel…

À l’heure du thé, une crise terrible le prend du côté gauche. Une quinte de toux épouvantable le secoue de toute son âme. Pendant plus d’une heure, Céleste tente de calmer le mal avec les potions et le café fort. La crise est horrible et semble incontrôlable. Elle veut appeler le médecin, mais Marcel la supplie de ne rien faire. C’est une question de vie et de mort. La nuit des temps apparaît sur le temps perdu. Ce n’est pas le moment de perdre son temps. Marcel veut terminer son œuvre. Marcel veut partir en ayant trouvé le temps retrouvé.

Ce soir-là, le temps leur sembla bien ingrat…

Marcel reprit les cahiers, choisit une autre plume, trempa sa plume dans l’encrier de l’enfance et implora le temps de lui donner le temps avant la fin d’écrire le mot fin…

À suivre…

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1. Illustration : James Jacques-Joseph Tissot. Le voyageur.

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Commentaires

  1. et bien j'ai toujours l'impression de rentrer dans un autre temps en ce Carnet de bord, nous dit un homme des heures enfouies.

    j'ai bien aimé ce texte
    et dans l'ensemble, j'aime venir ici, lire en silence, au calme des Métaphores courtoisement humoristiques, c'est reposant et agréable mais ça je l'avais peut-être déjà dit.

    A bientôt_

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  2. >Eipho: Merci de ta présence et de tes commentaires toujours justes.

    Longtemps, je voyage dans le temps!

    Merci!

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  3. Le temps d'une émotion, chère Mireille. Voilà. C'est fait... Une petite perle brille sur le rebord de l'oeil. Oh! Marcel... «Dis, au moins le sais-tu...»

    Et un bouquet pour la plume de Mireille, un bouquet de voyelles violettes, en boutons...

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  4. Très bien raconté. Je ne connaissais pas cet épisode de la vie du grand Marcel. Je me demande quels éléments appartiennent à l’invention, mais je n’irai pas vérifier.

    Il y a de la tendresse dans ce récit, qui s’ajoute à celle de la bonne Céleste.

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