La dame Delanote # 2

There she weaves by night and day
A magic web with colors gay.
She has heard a whisper say,
A curse is on her if she stay
To look down to Camelot.
Lord Alfred Tennyson. The lady of Shalott.

Mademoiselle M,

Je laisse reposer mes doigts de fée. Pour vous, je passe du métier de tisserand à celui du métier de l’encrier. Chanson de la plus haute tour en dentelles pour les chevaliers de l’encrier de Nouveau-Bordeaux! O mademoiselle ! Je crois que le royaume de Logres me sied à merveille. J’ai repris des couleurs. Je mange comme un ogre et je ronfle comme un dragon. Certes, cela ne semble pas convenable pour une dame de mon rang, mais peu importe, je m’amuse et je reprends le cours des aventures.

Je prends une pause pour vous écrire. Je travaille nuit et jour sur les vieux manuscrits du château de l’île Delanote. C’est fascinant, toutes ces légendes médiévales qui se révèlent, jusqu’à nous par l’écriture. Les jongleurs allaient de villages en villages, de château en château pour transmettre leurs arts. Leurs histoires nous sont parvenues par l’entremise du monde des lettres. Je me délecte de ces lectures en découvrant leurs aventures chevaleresques.

Je vous écris sur le coin de ma table. Elle est couverte de livres, de cartes, de manuscrits rongés par le temps. Cette table est magnifique. Je dirais presque magique. Elle est ronde comme la Table ronde ! Je ferme les yeux et je m’imagine au cœur de Camalot, là où, Merlin l’enchanteur instaura la noble Table, celle qui, toujours selon les légendes, devait faire suite à celle de la Cène et du Graal.

Je vous écris, mais j’ai un peu de mal à me concentrer. Nous avons un visiteur dans la tour nord. Il est très gentil. Cependant, il est un peu bruyant, surtout la nuit. Je l’entends marcher d’un pas vif et lire à haute voix des pages entières de dictionnaires. C’est une tempête de mots, un tournoi dans les rayons de la bibliothèque ! Je n’ose sortir de ma tour pour lui parler. Je sors peu de mon refuge, sauf pour ma promenade dans les champs de blé près de la rivière. C’est préférable tant et aussi longtemps que la malédiction de l’île sera présente. Je ne veux pas déclencher la tempête, la colère des fées !

O mademoiselle ! Je suis plongée dans la légende arthurienne. L’histoire de Camelot est fascinante. Merlin, mi-homme, mi-diable, celui qui connaissait le passé et l’avenir, y accomplit plusieurs prodiges pour le plus grand des rois, Arthur. L’enchanteur était un fieffé coquin. Je comprends la fée Vivianne de lui avoir fait quelques misères. Évidemment, il y a Lancelot, le meilleur chevalier du monde. Celui-là, je n’ose pas trop en parler. Du moins, pour le moment. C’est délicat… Je crois qu’il participera à un tournoi bientôt à la gloire de Camelot. Je lui offrirai peut-être de porter mes couleurs. Je n’ose pas. Il y a cette malédiction qui me menace. Je préfère regarder le monde du côté de mon miroir, celui du cœur.

Bonne croisade, chevaliers de l’encrier.

Je reviendrai vous raconter la suite des enchantements de mon île.

Lavande,
La dame Delanote.

À suivre…

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1 : Illustration : John WilliamWaterhouse. La tempête. 1916.