La dernière fois que je l’ai vu, il était assis sur une bombe. Sans blague. Il était assis sur une charge de dynamite grosse comme ça. Une longue histoire… Il disait : « Tu n’es pas vraiment fichu, tant qu’il te reste une bonne histoire, et quelqu’un à qui la raconter. »
Alessandro Baricco. Novecento : pianiste.
Je suis assise dans le sous-sol
Je suis assise sur le banc du piano
Je suis assise devant les notes de l’inventeur du jazz
C’est samedi soir. Les parents sont revenus de leur voyage à Paris. Des caves de Saint-Germain-des-Prés, du café de Flore et du Louvre, ils ont rapporté des tas d’histoires à raconter. Dans les cales de leur paquebot, ils ont entassé des tas de petites valises remplies de petites notes de voyage à raconter. De magnifiques récits à partager avec la tribu.
C’est samedi soir. C’est magnifique. Seulement, je suis triste… Je n’entends plus la mer, je n’entends plus l’océan. Duemille, le pianiste de l’océan a disparu. Je ne sais pas la suite de l’histoire. Je suis fichue.
Vers minuit, une courte note résonne dans mon oreille. Puis, une deuxième brève vague retentit de l’appareil. C’est lui ! C’est mon satané pianiste qui rapplique. Il va me rendre folle, ce foutu inventeur de la musique de la mer.
-- Duemille, c’est toi ?
-- Bonsoir mademoiselle M…
-- Duemille, tu m’as foutu la trouille. J’ai eu peur que tu te perdes dans les rues. De quelle ville m’appelles-tu ?
-- Je vous parle directement de mon paquebot…
-- Comment ! Tu n’es pas sur les routes de l’Amérique ? Tu es remonté à bord après ta visite à New York ?
-- Je ne suis pas allé dans l’Amérique. J’ai descendu trois marches. J’ai lancé quelques notes enfouies dans un chapeau. Et puis, c’est tout. Je suis remonté chez moi… sur le bateau…
-- C’est tout ? Quel cornichon! Et tous tes rêves. Tu voulais voir la mer, San Francisco.
-- J’ai dit adieu à tout cela, mademoiselle. Je suis assis sur mes rêves, les rêves de la mer. Et puis, rien n’est vraiment fichu tant qu’il vous reste une bonne histoire à raconter…
-- Duemille, ta voix est très bizarre. Que se passe-t-il ? J’entends des bruits étranges dans l’appareil. Tu es assis dans la chambre des machines ou quoi.
-- Je suis assis sur le banc du piano. Je suis seul dans le paquebot. Je crois qu’il ne me reste plus que quelques minutes pour vous parler, mademoiselle…
-- Comment ? Mais, qu’est-ce que tu me racontes ? Pourquoi es-tu seul sur le paquebot ?
-- Il n’y aura plus de navire dans quelques minutes. Mais, tout n’est pas fichu, mademoiselle. Il me reste encore de belles histoires à vous raconter…
-- Quoi ? Mais, ils ne vont tout de même pas…
-- Ce n’est pas important, M…
-- …
-- Ce n’est rien. D’accord M ?...
-- Je crois que… heu, je crois que je comprends la situation.
-- Bien. Alors, je vais vous jouer la suite de l’histoire M. Je vais vous faire entendre la musique que j’ai envie de vous raconter. Rien n’est fichu, M. Rien n’est fichu tant que la musique de l’océan continu de danser ses petites notes de mer. Rien n’est fichu tant que la musique de la mer vous raconte son histoire. D’accord ?
-- Duemille…
-- Au revoir mademoiselle M…
-- …
______________
1. Illustration. Courbet. Marine.
Alessandro Baricco. Novecento : pianiste.
Je suis assise dans le sous-sol
Je suis assise sur le banc du piano
Je suis assise devant les notes de l’inventeur du jazz
C’est samedi soir. Les parents sont revenus de leur voyage à Paris. Des caves de Saint-Germain-des-Prés, du café de Flore et du Louvre, ils ont rapporté des tas d’histoires à raconter. Dans les cales de leur paquebot, ils ont entassé des tas de petites valises remplies de petites notes de voyage à raconter. De magnifiques récits à partager avec la tribu.
C’est samedi soir. C’est magnifique. Seulement, je suis triste… Je n’entends plus la mer, je n’entends plus l’océan. Duemille, le pianiste de l’océan a disparu. Je ne sais pas la suite de l’histoire. Je suis fichue.
Vers minuit, une courte note résonne dans mon oreille. Puis, une deuxième brève vague retentit de l’appareil. C’est lui ! C’est mon satané pianiste qui rapplique. Il va me rendre folle, ce foutu inventeur de la musique de la mer.
-- Duemille, c’est toi ?
-- Bonsoir mademoiselle M…
-- Duemille, tu m’as foutu la trouille. J’ai eu peur que tu te perdes dans les rues. De quelle ville m’appelles-tu ?
-- Je vous parle directement de mon paquebot…
-- Comment ! Tu n’es pas sur les routes de l’Amérique ? Tu es remonté à bord après ta visite à New York ?
-- Je ne suis pas allé dans l’Amérique. J’ai descendu trois marches. J’ai lancé quelques notes enfouies dans un chapeau. Et puis, c’est tout. Je suis remonté chez moi… sur le bateau…
-- C’est tout ? Quel cornichon! Et tous tes rêves. Tu voulais voir la mer, San Francisco.
-- J’ai dit adieu à tout cela, mademoiselle. Je suis assis sur mes rêves, les rêves de la mer. Et puis, rien n’est vraiment fichu tant qu’il vous reste une bonne histoire à raconter…
-- Duemille, ta voix est très bizarre. Que se passe-t-il ? J’entends des bruits étranges dans l’appareil. Tu es assis dans la chambre des machines ou quoi.
-- Je suis assis sur le banc du piano. Je suis seul dans le paquebot. Je crois qu’il ne me reste plus que quelques minutes pour vous parler, mademoiselle…
-- Comment ? Mais, qu’est-ce que tu me racontes ? Pourquoi es-tu seul sur le paquebot ?
-- Il n’y aura plus de navire dans quelques minutes. Mais, tout n’est pas fichu, mademoiselle. Il me reste encore de belles histoires à vous raconter…
-- Quoi ? Mais, ils ne vont tout de même pas…
-- Ce n’est pas important, M…
-- …
-- Ce n’est rien. D’accord M ?...
-- Je crois que… heu, je crois que je comprends la situation.
-- Bien. Alors, je vais vous jouer la suite de l’histoire M. Je vais vous faire entendre la musique que j’ai envie de vous raconter. Rien n’est fichu, M. Rien n’est fichu tant que la musique de l’océan continu de danser ses petites notes de mer. Rien n’est fichu tant que la musique de la mer vous raconte son histoire. D’accord ?
-- Duemille…
-- Au revoir mademoiselle M…
-- …
______________
1. Illustration. Courbet. Marine.
une bonne histoire
RépondreSupprimerest toujours une histoire un peu
cruelle,
explosive.
Il faudrait que M. s’élance (s’élançât)
vers le paquebot
avec en main un manuel
« How to desactive a bomb for dummies »
pendant ce temps, Duemille pourrait composer
une petite musique de chambre pour piano, téléphone et bombe.
>Reading is Dangerous: Votre idée est excellente. Je dirais même explosive!
RépondreSupprimerJe souhaite toutefois que Duemille sache nager...