Les cahiers rouges VI

Je suis de mon enfance comme d’un pays. Antoine de Saint-Exupéry.

Je suis coupable d’une enfance heureuse. Je ne l’ai pas choisi.

Il est coupable d’une enfance malheureuse. Il ne l’a pas choisi.

Cette semaine, la Presse présentait un document sur une nouvelle maison d’hébergement pour les petits enfants âgés de rien à plus de cinq ans. Cette lecture fut extrêmement pénible pour tous. Toutes ces histoires d’horreurs ont lieu dans des maisons aux fenêtres closes, aux rideaux fermés, des maisons sans vie, des maisons sans amour, des maisons sans enfants.

Des maisons sans enfance. Des pays sans enfants.

Ce pays est extrêmement pénible à vivre, à imaginer. Pourtant, il existe depuis toujours. Nous le soupçonnons, le devinons parfois. C’est une réalité qui fait mal, qui donne la nausée. Une réalité ou les rêves se teintent de visages disparus, de visages pourtant aimés et désirés. Des esquisses floues de personnages étranges que l’on nomme parents, des parents, pourtant, pour la vie et la mort…

Ce pays de l’enfance saccagée, détruite, défigurée, il me semble tellement difficile à vivre. Il me semble si difficile à oublier, si périlleux à accepter. Je ne sais pas si l’on peut effacer vraiment de tels sévices, de tels outrages, de tels abandons.

Je ne sais pas si l’on peut un jour pardonner à sa mère son départ dans la nuit des temps, à son père son départ dans l’enfer de l’absinthe. Je ne sais pas si l’on peut trouver la force d’accepter une telle enfance, je ne sais pas si l’on peut reconstruire une enfance…

Ce pays de l’enfance retrouvée, redessinée, démystifiée, dépassée…

Je ne sais pas s’il existe.

Et pourtant,

Il existe sûrement un pays pour ces enfants qui deviennent adultes, le cœur plein de cicatrices. Il existe un pays à raconter pour tous les enfants qui deviendront adultes.
Il existe ce pays en toi.
C’est toi.

Je suis coupable d’une enfance heureuse.
Il est coupable d’une enfance malheureuse.
Personne ne choisit son enfance.

Mais, l’abandon de ce pays du mal peut faire du bien.
Peut-être beaucoup de bien…

Le reste, c’est de la littérature


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1. Illustration. Fellini. La Strada.



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