Dialogues pas si bêtes # 5

TOBY-CHIEN, frissonnant : Tout devient terrible. (Il rampe péniblement jusqu’au perron.) Qu’a-t-on changé dehors ? Voilà que les arbres sont devenus bleus, et que l’herbe étincelle comme une nappe d’eau. Le funèbre soleil ! Il luit blanc sur les ardoises, et les petites maisons de la côte ressemblent à des tombes neuves. Une odeur rampante sort des daturas fleuris. Ce lourd parfum d’amande amère, que laissent couler leurs cloches blanches, remue mon cœur jusque dans mon estomac.
Colette
. Dialogues de bêtes. L’orage.

J’aimais les jours de pluie à la campagne. Je m’isolais, disparaissais comme un ermite dans mon loft de lecture privé. Je profitais de la pause chagrin des sachems du ciel pour lire mes contes chéris. Ce matin de tempête, je lus Hiawatha de Longfellow à voix haute afin de calmer les angoisses de Cathy-Chien. Tapie sous le fauteuil, elle grognait, jappait, maudissait les nuages de la colère de Bison-Rabat-joie : mon cerbère reniflait l’odeur de l’orage sur la lande de Saint-André-D’Argenteuil.

Soudain, de formidables éclairs illuminèrent toute la pièce. La foudre tomba sur les terres de mon village, menaçant les arbres, les bêtes, mon tipi. Des coups de tonnerre retentirent tel un opéra spectaculaire ! Cathy-chien redoubla d’ardeur malgré ma chanson bleue. Flairant le parfum de la catastrophe grise sur notre niche, elle courut se cacher sous le lit. Non d’un totem ! J’avais peut-être exagéré ma dernière danse de la pluie… Légèrement émue, je pris le sentier de la retraite. J’aimais la pluie, pas le feu du ciel. Je rejoignis mon quatre pattes aux abris…

Heureusement, l’attaque torrentielle fut brève. Je n’y tenais plus ! Je tremblais à l’idée du cataclysme que ces kamikazes avaient pu causer à mes vertes terres de jeux. Je voulus constater tout de go le chaos sur mon tipi jaune! Je rangeai mes livres et me lançai à la rescousse de mon domaine. Tanto de Huxley était prisonnier dans son box. Je connaissais son courage de chevalier. Néanmoins, une tornade est un enfer rouge pour les preux destriers.

Je fus interrompue dans mon branle-bas de combat au seuil de la cuisine par madame Colette.

-- Ohé ! Jeune fille ! Que signifie ce galop impétueux ? Le tintamarre est terminé. C’est l’heure du dîner. On se restaure et on fait la guerre aux nuages blancs par la suite. D’accord ?

-- Je dois voir mon Shetland. Il a peut-être des ennuis. Il est bête, ce poney. Je…

-- Dès que tu auras savouré ce potage-pemmican, tu pourras aller caresser cette merveille, le seller et puis trotter jusqu’à la rivière. La pêche est fabuleuse après la pluie selon Hyawatha.
-- Heu… Quelle bonne idée! C’est une activité digne d’un chef amérindien et de sa meute.
-- Et puis, j’ai oublié la correspondance, ajouta la cuisinière. Tu as du courrier sud.

Tonnerre ! François, le quatrième membre du clan des D annonçait sa venue pour le lendemain. Un événement exceptionnel commandait une consultation officielle. Les chefs de clan n’ont pas de vacances. L’officier avait des mystères à résoudre. Une lettre anonyme était parvenue au quartier général. Une perturbation atmosphérique menaçait notre tribu. Il soupçonnait l’auteur de cette bête missive de planifier quelque ombrage sur mon petit bonheur estival. Le parfum du fantôme en noir menaçait les doux effluves de mon jardin rose sacré.


À suivre...

Commentaires

  1. voilà le meilleur texte de cette série
    Jusqu’à ce jour qui joue
    À faire jou-jou sur la douce joue
    De la jument qui jamais ne ment
    Ni mentalement ni autrement

    mille braviolis!

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