Un yéti sur le toit # 3

Monsieur Wong nous offrit le thé dans son arrière-boutique. Pendant plus d’une heure, il nous entretint sur sa contrée natale. Quel grand conteur. Digne de l’équipage de la Boîte à surprises! Selon ce gentleman, le yéti était d’origine tibétaine. Sûrement pas chinoise… La Chine étant beaucoup trop philosophique pour inventer de telles balivernes!

Tonnerre de Brest! Je notai toutes ses réflexions dans mon mémento. Mon humanoïde demeurait toujours un mythe aussi incompréhensible que les petites maximes insérées dans les biscuits chinois. La bande ne se découragea pas pour autant. Nous passâmes l’après-midi à visionner quelques films de Disney. Puis, la prochaine réunion extraordinaire fut fixée au lendemain, à l’intérieur de notre maison dans les arbres…

De retour à mon domicile, une belle surprise m’attendait. Mon père, épicurien bizarre et insatiable, nous invitait à un dîner, au restaurant de Montréal : Piazza Tomasso! De la Chine, je passai en l’Italie. Quelle vie trépidante! Après tout, le yéti de Tintin semblait posséder une nationalité internationale. La piste italienne méritait d’être suivie. Sans plus de préambule, je procédai à une mise en plis rapide, passai une salopette proprette et hop! L’album d’Hergé dans le sac à dos, le carnet de notes à la main, je fus apte à participer à cette expérience culinaire.

J’adorais ce restaurant. Je me souviens de presque tout le décor de l’établissement : les teintes vertes, rouges et blanches, les aquarelles de la commedia dell’arte, l’escalier intimidant à l’entrée, etc. Je vous précise la chose, car, à cette époque, j’étais plutôt turbulente. Je ne demeurais pas assise très longtemps. Dès que le cocktail à la grenadine était consommé, que les pâtes avaient coloré mon nez et ma bavette rigolote, je quittai les lieux pour de plus amples explorations. Je laissai ma sœur terminer mon pain à l’ail, abandonnai la conversation endiablée entre mon père et Jean-Paul Ladouceur. Je me dirigeai vers les tables voisines, les cuisines, les toilettes ou le bureau du restaurateur. Rien à faire, j’avais la bougeotte comme Picolo, célèbre Arlequin. Je me délectais des odeurs ambiantes : les épices, le vin, le parmesan…

Je terminai souvent ce genre de comédies, à l’entrée du resto avec les employés. Je leur tenais compagnie. Ces patients compagnons m’offraient parfois des ballons, des bonbons… Bref, n’importe quoi pour que je me tienne tranquille! Inutile! J’avais la bougeotte comme Alexandra David-Neel et surtout… je recherchai un énigmatique androïde sur le toit!

Ce soir-là, j’avoue que j’étais particulièrement animée. Mes questions sur un hypothétique yéti italien finirent par outrepasser les bornes. Exaspérée, ma mère me confia un grand secret. La journée du lendemain serait consacrée à une autre belle péripétie. Toute la maisonnée partait en campagne voir le King Kong du zoo de Granby.

Je devins soudainement sage comme Confucius… Posée comme un Dalaï-lama, je mis cette note dans mon agenda : dimanche; rendez-vous avec un gorille québécois… cousin germain africano-tibétano-italiano de mon yéti sur le toit!



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