Mémoire d'éléphant rose

Alexandrie et ses lettrés, par contre, ne se sont jamais mépris sur la vraie nature du passé; ils savaient que le passé était la source d’un présent toujours en mouvement où de nouveaux lecteurs se plongent dans de vieux livres qui deviennent neufs en cours de lecture.
Alberto Manguel, La bibliothèque la nuit, un mythe.

J’aimerais bien voyager à l’intérieur du temps. D’emblée, la bibliothèque d’Alexandrie serait ma première destination. À la barre de la machine à voyager dans le temps de H.G. Wells, je m’envolerais vers cet endroit mythique, le berceau de la mémoire littéraire du monde. Malheureusement, deux tragédies m’empêchent de réaliser ce rêve : le vaisseau extraordinaire en question n’existe pas et la bibliothèque n’existe plus! Il ne me reste qu’une seule option : puiser dans mon imaginaire comme tout lecteur.

Heureusement, les livres demeurent complices de nos projets surréalistes, voire utopiques. Ils ont une mémoire d’éléphant! Que ce soit par la lecture ou par l’écriture, ils nous permettent de ressentir des émotions proches de nos désirs les plus extravagants. Mémoire volontaire ou involontaire, chaque ouvrage littéraire nous transporte dans un univers particulier. Notre mémoire visuelle, auditive ou olfactive s’éveille selon les représentations suggérées au cours de notre lecture. Les souvenirs reviennent à l’esprit, les réminiscences s’imposent selon les événements que nous vivons.

Certaines personnes ont une mémoire d’éléphant rose. Une mémoire collective qui mérite que l’on s’y attarde un moment. La mémoire des héros de notre enfance. D’évidence, il en existe plusieurs.

Je vous propose un extrait de Les mémoires du Capitaine Bonhomme; tome 1, Le dernier des éléphants roses. Mémoire d’éléphant rose de celui qui fut l’un de mes héros d’enfance préférés, mon père.

Bonne mémoire d’éléphant rose!

Chapitre 1
De Hong-kong à Mombasa


Navigateur, explorateur, corsaire des mers roses et mauves et chasseur de sbires sanguinaires; écologiste, collectionneur de tout et de rien, gardien de l’heure juste et de l’imaginaire, voilà, brièvement, le portrait de Jean Yannick William Nicolas Bonhomme, capitaine au long cours!
Certains de mes congénères disent que j’exagère le récit de mes péripéties à travers mers et mondes! Quel affront! Je suis le plus grand conteur de la planète, un point c’est tout. Si des jaloux se pointent à l’horizon, qu’importe, je leur apporterai les preuves de mes aventures authentiques!

Je suis né le 23 juillet 1902 à Québec. Je vis le jour sous une tente de cirque, entre deux représentations! Je pris rapidement du muscle et de l’esprit grâce à l’éducation rigoureuse de mon père, cascadeur, et de ma mère, conteuse et un peu magicienne…
En 1905, mon père se cassa la jambe au cours d’une prestation pour le cirque de Buffalo Bill, en France. Le métier des pirouettes étant terminé pour lui, il s’installa à Concarneau, en Bretagne. Il devint pêcheur de sardines!
Mon enfance se déroula donc en sol breton. École communale, puis école de la Marine, à Brest. Par la suite, je fis mon cours d’officier à bord d’un navire-école. Mes vacances se sont écoulées sur la goélette de mon père le
Marsouin I
. Bref, je grandis fièrement. De la sardine bretonne, je passai aux baleines des côtes de Terre-Neuve. Mille millions de tempêtes des tropiques, les enfants! Du filet au harpon, je pris du tonus!
Je compris surtout que j’aimais la mer et ses petits poissons. Je laissai tomber mes armes devant ces créatures sans défense, et je m’engageai sur le chemin de l’aventure véritable… celui de l’océan et de la chasse aux olibrius!
Au début des années trente, je revins de Hong-Kong avec une cargaison spéciale pour le Kenya. Au gouvernail du
Marsouin I, je me dirigeai allègrement vers Mombasa, port légendaire du sol africain. Je transportais dans mes cales une collection de porcelaine chinoise ancienne de grande valeur. Sir Archibald Chikenpouf, collectionneur de renom pour les plus grands musées du monde, m’avait chargé de cette mission périlleuse quelques mois auparavant. Je ne connaissais pas tous les détails de la transaction, mais je devais assurer le transport de la magnifique cargaison de Hong-kong à Mombasa, puis du port jusqu’à Nairobi, sans encombre! La provenance de cette porcelaine était secrète. Je ne puis tout de même vous révéler toutes mes sources d’informations! Je me contenterai de vous avouer que ce ne fut point une sinécure. Je dirai même que ce fut au péril de ma vie que je dus parcourir plus de cinq cents kilomètres à pied à travers la Chine, avec le précieux coffret sur mon dos, poursuivi sans relâche par une armée de sbires oeuvrant pour le compte d’un obscur personnage connu sous le nom d’Ho Sing Ming Ping! Quel raplapla-sparadrap, celui-là!

Mireille Noël. Les mémoires du Capitaine Bonhomme, tome 1, Le dernier des éléphants roses.


Commentaires

  1. Je suis complètement chamboulée à la suite de la lecture de ce chapitre.
    À quand la publication de cette magnifique aventure ?
    Devrons-nous attendre encore longtemps ?
    Merci de nous l'avoir partagé.

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  2. Bonjour Surprise!

    Je vous remercie pour vos commentaires. Je ne suis pas maître de la publication de mes ouvrages. Je souhaite, tout comme vous,que ces aventures prennent la route du lecteur!

    Bon vent, bonne mer!

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  3. Bonsoir,
    merci pour la petite visite -

    J'ai bien aimé ce texte et
    "gardien de l’heure juste" fallait la trouver celle-là, super !

    Ce captain bonhomme est épatant,
    je repasserai lire la suite
    à bientôt.

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  4. J'ai hate de lire les suites de ce capitaine enigmatique..

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