Lucy Maud Montgomery : Anne… la maison d’une enfance imaginaire


Lucy Maud Montgomery. Salon des grands-parents. 1890. 

Finalement, son regard s’arrêta plus longuement sur une propriété à gauche, éloignée de la route, et ployant sous le blanc des arbres en fleurs délicatement sertis dans le fond sombre des bois environnants, noyés dans le crépuscule.

Lucy Maud Montgomery. Anne… la maison aux pignons verts.


L’œuvre de Lucy Maud Montgomery est fortement inspirée de sa propre existence. Comme presque tous les écrivains, elle puise dans ses expériences personnelles afin de nous transmettre ses impressions. Ses souvenirs prennent des teintes poétiques, parfumées de poudre magique, qui amplifient au gré du vent et du temps, les aventures amusantes et les drames quotidiens de ses personnages. 


Telle Lucy, Anne, la principale protagoniste de son œuvre, perd sa mère dans sa petite enfance. Lucy, abandonnée par son père, éduquée par ses grands-parents, fera d’Anne, une orpheline de la fin du 20e siècle. Livrée à elle-même dans la jungle de ces maisons sans âme et sans couleur, Anne se réfugie grâce à la lecture dans un monde imaginaire peuplée de fées, de poésie, de chevaliers romanesques et de maisons où il fait bon de vivre…

Non, ce n’est pas le monde tragique de Dickens. Cependant, Lucy Maud Montgomery nous entraîne sur une île bien réelle, l’Île-du-Prince-Édouard, à une époque où les classes sociales fraternisaient peu, où les valeurs conservatrices et spirituelles surclassaient tout, particulièrement dans les milieux ruraux. De plus, le féminisme demeure embryonnaire. Le rôle des femmes se résume encore à très peu de latitude : se marier ou devenir vieille fille : enseigner à la petite école du village ou s’exiler dans les grandes villes au péril de sa vie.

Les familles nombreuses sont fréquentes, ainsi que les fausses couches et les décès en bas âge. Anne reçoit une éducation rude dans une famille d’accueil avant son entrée à l’orphelinat. Elle comprend la complexité de la vie sur une ferme, la fragile santé des enfants. Elle acquiert une force de survie dans une famille avare de sentiment qui lui apporte cependant plusieurs indices d’un avenir meilleur possible sous d’autres toits.

Marilla et Matthew veulent adopter un garçon afin de leur venir en aide sur la terre, la ferme familiale. Horreur ! C’est une fille que l’orphelinat livre sans tambour ni trompette à la gare d’Avonlea. Une étrangère maigrichonne d’Halifax de surcroit. Matthew et Marilla  déboussolés par cette erreur de livraison ne savent plus sur quels pignons danser.

Anne non plus.

Le charme des uns et des autres opèrent lentement au rythme de la nature singulière de l’île. Sous la verve sans pareille de la nouvelle résidente de la maison aux pignons verts, les bois, les lacs, les prairies et les chemins prennent des airs de poètes de grand chemin. Anne reconnait la maison à l’aveugle. Elle n’ose regarder en face, cette maison de rêve bien réelle qui semble vouloir d’elle. Elle, la fille dont personne ne veut.

Un univers de chambre blanche, de courtepointe tricotée, de lit de plume et de parfum de cerisier accueille le colis féminin à Green Gables: un parfum de pain grillé, de confiture et de beurre frais, de thé et de gâteau aux noix enivre ses premiers petits matins.

En bons presbytériens, terriens célibataires, sans aucune expérience en éducation de jeunes personnes, Marilla et Matthew pèsent le pour et le contre de cette malencontreuse histoire d’adoption erronée. Que faire de cette petite fille qui parle sans arrêt, qui coure dans les bois, qui grimpe dans les arbres et invente des histoires à lire aux géraniums, aux chevaux et aux oiseaux ? Cette calamité aux cheveux roux et au visage constellé de taches de rousseur ne sera d’aucune utilité aux travaux du frère et de la sœur.

Contre toute attente, Marilla décide de tenter le diable en donnant une chance à l’enfant. Elle se chargera de son éducation. Matthew, de son côté, est déjà sous le charme du Petit Prince en robe de coton et se réjouit de la venue de cette joie de vivre sur la terre ancestrale.
Le trio évolue sur le fil de l’histoire avec beaucoup de finesse, de tendresse et d’humour.
Anne… la maison aux pignons verts est une œuvre savoureuse sur l’identité, sur le rejet et la supériorité de l’amitié. Un roman à lire avec le chat sur les genoux, une tasse de thé et des scones.



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Image :
Salon des grands-parents. Lucy Maud Montgomery. 1890.
Remerciement à monsieur Ryan Kirby pour son aide.
L.M. Montgomery Collection, Archival & Special Collections, University of Guelph Library

Liens :
Lucy Maud Montgomery Institute. Bibliothèque Robertson de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard

Université de Guelph. Centre de recherche Lucy Maud Montgomery

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